samedi 6 août 2011

40- Le cancer du siècle à l’Arche

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Les animaux malades de la peste
Jean de La Fontaine

C’était un dimanche de mai ou de juin 1969 vers 16 h 30. Je revenais de je ne sais où. Le sous-sol de l’Arche était plein à craquer. Sur la scène, un conférencier. Je ne le connaissais pas. Il parlait de LSD.

J’avais entendu cette expression pour la première fois en 1966 ou 1967 lors d’un congrès de théologiens à Toronto. Deux jeunes hippies étaient subitement apparus sur la scène où se tenait le conférencier et nous avaient entretenus des visées de la nouvelle génération hippie. Ces jeunes psychédéliques tranchaient sur l’auguste assemblée par leur accoutrement, les valeurs qu’ils prônaient et la vigueur de leur critique de la société si froide et si peu perméable à l’amour.

À la sortie d’une profonde obscurité, toute lumière fait cligner des yeux et rayonne tous azimuts comme sonnent les trompettes de libération. J’étais ébloui et, d’emblée, sympathique à la fois au mouvement hippie et à sa façade psychédélique, et plutôt indifférent par rapport à la consommation de toute drogue et plus particulièrement de celle appelée LSD que je ne connaissais pas ou très peu.

Je n’avais pas eu à me prononcer sur l’invitation de ce monsieur Gagnon qui donnait la conférence sur le LSD, un jeune homme dans la vingtaine avancée. Il est fort probable que si on m’avait consulté j’aurais accepté volontiers, sans plus de vérification. Pourquoi pas ? La toxicomanie n’avait pas encore fait chez les jeunes tous les ravages qu’on lui attribue aujourd’hui et que je connaîtrai dans ma propre famille vingt ans plus tard. Aux gens qui sonnaient l’alerte, on répondait facilement en disant d’une part que le thé, le café, l’alcool, le tabac étaient des drogues beaucoup plus dommageables pour la santé et pour l’exercice des facultés que le chanvre (pot) ou le LSD qui, eux, n’engendraient pas de dépendance.

Dès les débuts de l’Arche, un groupe de jeunes m’avait invité à fumer avec eux un joint de haschich. J’avais accepté comme j’aurais accepté une invitation à prendre un verre, ou à faire une expérience un peu particulière comme celle des glissades d’eau ou celle du bungee. Ils m’observaient. Ils attendaient mon verdict, prêts à échanger avec moi sur leur propre expérience. Malheureusement pour eux, je ne ressentis aucun effet digne de mention. C’était pour moi comme fumer une cigarette. Un goût un peu plus acre, sans plus.


Dans notre milieu, dans les années 70, le LSD était associé à Timothy Leary. Il avait lui-même expérimenté cette drogue et en vantait les effets positifs. Elle pouvait guérir ou soulager certains cas de maladies psychiatriques. Surtout, il prétendait que le LSD ouvrait les portes de la mystique et permettait d’entrevoir la « lumière blanche » cette image de Dieu lui-même, celle décrite par saint Jean dans le prologue de son évangile.

J’avais lu quelques articles sur Timothy Leary, tous très favorables à ses expériences psychédéliques. Pour moi c’était autant de flèches que je remisais soigneusement dans mon carquois, prêtes à servir contre les dénonciateurs du LSD et de toute drogue. Nous étions alors au tout début de l’épidémie que les nouvelles drogues répandraient dans la société et plus spécialement auprès des jeunes.

À l’Arche, la drogue avait déjà fait dans les années 67-68 quelques douloureuses victimes. On la tenait responsable d’au moins deux suicides. Des jeunes pleins de talents, respectés et aimés. Elle a aussi transformé en loques humaines des jeunes qui avaient pourtant démontré de belles qualités d’esprit et de cœur. Nous étions les témoins tristes et impuissants de ses ravages. Cependant, pour nous, alors, il s’agissait de déplorables accidents de parcours qui ne semblaient pas devoir compromettre la vie ni l’avenir des jeunes de cette époque. L’exception qui confirme la règle. Dans son ensemble, la jeunesse conservait à nos yeux la vitalité et les promesses qu’on lui a toujours reconnues à travers les siècles.

Pendant l’année 70, le paysage jeunesse changea du tout au tout. Les yeux ont terni, les élans sont bridés, la démarche est chancelante, les rêves sont éteints, remplacés par de lugubres lanternes de mort qui languissent la nuit dans les sous-sols, des ombres chancelantes que les soleils de tous les midis ne peuvent dissiper.

L’Arche, si pétillante de jovialité, vivait une agonie terne et grise.

En désespoir de cause, avec un groupe de jeunes non contaminés, nous avions organisé un camp à St-Alphonse près de Joliette. Le but du camp était clair. Il fallait ramener ces jeunes brebis égarées dans le droit chemin, leur parler raison, les secouer à force d’exemples et d’argumentations de façon à ce qu’ils abandonnent leur pratique avant qu’il ne soit trop tard.

Les activités du camp avaient été planifiées avec soin : jeux, randonnées en forêt, échanges, conférences de spécialistes, etc... Il avait été convenu avec tous, avant le départ, qu’il n’y aurait pas de consommation pendant les deux jours du camp. Personne ne s’est rebiffé. Tous étaient présents à la plupart des activités. Mais à la moindre occasion, on s’esquivait pour consommer à deux ou à trois. On avait apporté sa drogue et on se la partageait. Plusieurs de ces jeunes étaient déjà des « accros ».

Nous (les responsables et moi – il n’y avait plus à ce moment d’autres frères à l’Arche), nous sommes revenus de ce camp amers, fatigués, déçus. Le poids de l’échec. Un poids d’autant plus lourd que les attentes avaient été grandes. Ces jeunes, si jeunes même, des enfants presque, étaient des accros, des esclaves qui ployaient sous des chaînes trop lourdes pour eux.

Il y avait bien et toujours à l’Arche, un noyau de jeunes qui avaient du cœur au ventre et qui auraient pu assurer la continuité de l’élan fourni par les pionniers. Ils ont accompli des prodiges d’ingéniosité, noué des liens de chaleureuse amitié. Cependant ces témoins n’avaient plus d’audience. Leur enthousiasme n’avait pas d’écho. Ces prophètes prêchaient dans le désert. Il n’y avait plus de flambeaux à allumer, il n’y avait que des yeux éteints.

Suite à cette situation nous avons multiplié les caucus, cherché des solutions et des points d’ancrage. Tout tombait à plat. Le déluge du temps de Noé pâlissait devant les menaces de désolation et de mort que la drogue projetait sur nos horizons immédiats. Plus que jamais ces jeunes avaient besoin d’une arche pour les sauver. Mais cette arche était déjà usée, discréditée, personne n’aurait risqué de former un équipage capable de prendre cette mer afin d’essayer de sauver ces pestiférés. La drogue, c’était la peste de ce temps. Pas de sauveur en vue. Le camp et les efforts répétés qui l’ont suivi nous contraignaient à constater notre totale impuissance devant ce mal.

Tous mes confrères m’avaient quitté. Mes supérieurs avaient depuis un certain temps décidé de la fin de l’Arche. Je le savais, je le sentais. Le mot drogue avait été prononcé. Accroché à l’Arche, ce seul mot suffisait pour nous discréditer à tout jamais, moi et les frères qui avaient tenté l’aventure en ma compagnie. Tous ces jeunes aussi qui s’étaient montrés si vigoureux et si alertes devant les renouvellements qui nous défiaient de toutes parts. Tout comme Noé dans la construction de son arche.

Nos plus brillants espoirs s’effilochaient comme de vulgaires chiffons. Nos meilleurs faits et gestes, gisaient comme de pâles fantômes rangés dans le grenier du temps passé. Aucune colombe ne revenait portant le rameau d’olivier annonçant la fin du tumulte ou nous invitant à observer les couleurs de l’arc-en-ciel qui ouvrirait une ère de paix et de nouveau printemps. L’arche avait coulé, comme le Titanic.

J’étais abattu mais non terrassé. Déçu mais non vaincu. Au mois d’août une petite colombe tenant en son bec une toute petite feuille d’olivier apparut à l’horizon. La vie allait-elle renaître à l’Arche ?

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Note : Cette publication termine notre chronique sur l’Arche des Jeunes au 12036, rue l’Archevêque. Cependant, l’histoire de l’Arche est une histoire sans fin. Grâce à l’initiative et à l’assiduité de Bernard surtout et de plusieurs autres, nous avons revécu son épopée à tous les cinq ans. La rencontre du 40e anniversaire en 2007 réunissait au-delà de 75 archers qui se sont souvenu et qui ont tenu à raviver leur mémoire des ces temps heureux et à renouer les liens qu’ils avaient tissés il y a plus de 40 ans.

À la fin de juin 1970, les autorités religieuses avaient décrété la fermeture de la maison au plus tard en avril 1971. On n’approuva pas le projet d’une nouvelle fraternité religieuse que j’avais développé avec quelques jeunes et deux autres frères.

À l’été 1970, un voyage à New-York avec une douzaine de jeunes de la dernière équipe en charge de l’Arche, celle de Marc-André Malette, Andrée Guérard, Jean-Yves Boileau etc… fut à mon souvenir la dernière activité organisée à l’Arche, son chant du cygne.

À l’été 71, la communauté accepta que le 12,036 rue l’Archevêque servît sous la responsabilité de François Landreville de centre de rassemblement de quelques groupes de jeunes de Montréal-Nord inscrits aux projets PILE du gouvernement fédéral.

En septembre 71 la maison était vidée et mise en vente.

Lors du 40ième anniversaire en 2007 on créa le blogue l’Arche des Jeunes toujours accessible par un clic. On y trouve comme dans un grenier, des souvenirs épars, des photos et des documents qui rappellent quelques moments de cette trépidante histoire. Plusieurs fondateurs de l’Arche y ont laissé leurs témoignages et leurs plus beaux souvenirs. Clic sur « Fondateurs »

Le 15 mai dernier, neuf « patriarches » de l’Arche comprenant quatre des anciens frères fondateurs (Léo, Gilles Rémi et Flo) et cinq anciens jeunes (Diane Perreault, alors professeure à Henri-Bourassa, Bernard et Yolande, ces piliers de toujours et pour toujours, Danielle et Ginette, épouses respectives de Rémi et de Gilles) ont fait une espèce de « post mortem » de l’Arche.

Chacun a rappelé brièvement la place que l’Arche avait occupée dans sa vie, ce qu’il ou elle avait fait après l’Arche. Puis, on a essayé d’évaluer l’impact et l’importance de cette expérience unique pour celles et ceux qui l’ont vécue et dans l’histoire du Québec en pleine transformation.

À suivre …
No 41 L’Arche d’une nouvelle fraternité

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Jean-Guy Legault nous dévoile les richesses de la région de St-Georges de Beauce où il enseigna au cours classique de 1963 à 1966.













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