samedi 27 août 2011

37- En veillant sul'perron

Samedi, le 8 juin 1967 .
En veillant sur l' perron
Par les beaux soirs d'été
Tu m' disais c'est si bon
De pouvoir s'embrasser

Assis l'un contre l'autre
Sans s'occuper des autres
On s' faisait du plaisir
En parlant d'avenir

Quand les gens d'autres paliers
Étaient prêts à entrer
Il fallait se serrer
Pour les laisser passer

Quatre moines dans la trentaine, sans bure ni monastère, hument l’air frais de ce soir du 8 juin 1967 sur la galerie de l’imposante maison de briques rouges sise au 12036 rue l’Archevêque à Montréal-Nord.

La bure, il y a bientôt quatre ans qu’ils l’ont laissée, mandat du Cardinal Léger. Le monastère, lieu secret et sacré, est moins à la mode depuis Vatican II. Les témoins de l’Évangile, on les aime mieux anonymes, au cœur de la pâte humaine. Sans l’allure traditionnelle, ces moines, religieux, ils le sont dans la force du mot et dans celle de leur âme. Ils ont entre 10 et 25 ans d’engagement dans la vie consacrée. Surtout, ils sont religieux-frères dans le défi qu’ils veulent relever ensemble: incarner la force libératrice de l’Évangile et la vigueur de l’amour de Dieu dans le quotidien des jeunes adolescents auxquels ils ont consacré leur vie. Ils ont été formés à l’écoute et au respect des cheminements propres à chacun.
Voilà qui explique la présence banale mais hors de l’ordinaire de nos quatre frères du Sacré-Cœur su’l’perron d’une maison ordinaire qu’on appellera désormais l’Arche des Jeunes.

J’étais de ceux-là. Ce souvenir me réjouit grandement. Nous venions de vivre notre première journée à l’Arche, la journée historique de sa fondation.

Désormais, l’Arche sera notre résidence permanente et le 12036 de rue l’Archevêque, l’adresse de l’Oeuvre des vocations des Frères du Sacré-Cœur de la Province de Montréal. Nous sommes quatre à avoir vécu cette journée.

Il y a d’abord Pierre, au début de la trentaine, mon ancien élève, nommé supérieur de la communauté de frères que nous formons. Il est inscrit sur la liste des professeurs de la nouvelle École secondaire Henri-Bourassa. Puis, vient Léonard qui poursuit des études en sciences religieuses à l’Université de Montréal. Il est âgé de trente-cinq ans et possède une expérience d’une dizaine années d’enseignement auprès des adolescents de l’École Meilleur. Il était un pylône important de l’équipe « Les Compagnons de la vie ». Il prendra résidence à l’Arche.

Suivent enfin Gilles et moi qui prolongeons une obédience vieille de trois ans à l’Oeuvre des vocations de la communauté. L’Arche sera le pied-à-terre de notre mission comme aussi le banc d’épreuve d’une nouvelle façon de faire connaître et de promouvoir la vie religieuse auprès des jeunes.

Frère Rémi, le plus jeune, encore dans la vingtaine, joindra le groupe des fondateurs, à la mi-août, après une session d’étude estivale en vue de compléter son brevet d’enseignement. Engagé par la CECM, il sera professeur en éducation physique, lui aussi à l’École secondaire Henri-Bourassa.


Notre Arche

Notre arche, c’est notre planche de salut au milieu des profonds bouleversements que connaît notre époque depuis les années 60. Un bâtiment en briques rouges de deux étages muni d’une imposante galerie. Deux autos peuvent stationner dans l’entrée qui donne sur une cour assez grande pour qu’on y aménage un terrain de ballon-volant.

Le premier plancher se veut espèce d’agora pour tout ce qui passe et tout ce qui se vit à l’Arche. On y trouve la cuisine, la salle à manger, le salon et un bureau réservé à l’accueil et au secrétariat.

Le sous-sol minable, peu éclairé et d’accès difficile sera le Centre culturel et sportif où se mijotera tout ce qui peut sortir du génie d’adolescents débridés. Après un an, on y fera d’importants travaux d’aménagement.


(Partie de la murale produite par un peintre qui deviendra célèbre Jacques Payette.)

Le deuxième plancher était en principe réservé aux frères. Il comprend cinq chambres, une salle de bain et une cuisine qui sera transformée en salle communautaire pour les frères.

C’est notre demeure. Le lieu qui sera pendant quatre ans témoin d’une trépidante vitalité. Nous venons d’y emménager.

On prend donc l’air du soir tout en se remémorant les événements, les visages et les gestes qui ont marqué cette journée historique. La rue est tranquille, le soir est bon. Qu’il y en a eu en cette journée mémorable des événements qu’on se répète ! L’arche de Noé dans sa préparation a dû connaître semblable animation.

L’appareillage

Vers 10 h en effet, de tous les horizons arrivent, comme des four-mis en mission, une bonne trentaine de jeunes qui répondent à un appel à la corvée. Ils s’appellent Bernard, François, Claudette, Yo-lande, Nicole, Diane, Roger, Maurice, Margot, Daniel, Jacques, Louise et qui encore… Ils ont l’ardeur au cœur et la joie sur les lèvres. Il faut astiquer notre bateau pour la traversée.

À leur arrivée, cette maison assez austère et tranquille se met à bourdonner comme une ruche. Il y a du monde partout. Du sous-sol au deuxième, chaque pièce passe à l’inspection et à la lavette. À l’extérieur, on racle, on ramasse, on peinture…Un toilettage en règle. Un bruissement d’ailes, de balais et de voix donne vite à cette maison plutôt austère, une atmosphère de jeunesse, sa vitalité propre dont les échos se répercuteront bientôt à travers toute la province. Le soleil, au zénith, radieux, défie tous les déluges de l’univers.

Un seul petit nuage est venu un moment assombrir cette journée pleine de soleil. Vers 14 h, un camion de Rosemère arrivait chargé des meubles que la maison mère nous envoyait pour faciliter notre installation. Tables, chaises, bureaux, lits, vaisselle…, tout le nécessaire était là. Du recyclage en convenable condition de réutilisation immédiate.

Le visage plutôt sérieux des frères chargés de cette mission affiche l’étonnement de se retrouver en pareil milieu. On venait ouvrir un centre d’accueil vocationnel qui devait assurer la relève de la communauté. On se trouve en présence d’une fébrilité inhabituelle pour une maison religieuse. Des jeunes gens qui besognent, criant et chantant leur joie, et surtout des jeunes filles qui manient balais et pinceaux, accueillant les livreurs avec les plus radieux sourires.

En un rien de temps, tout fut déchargé et rangé sous les encouragements de ces joyeuses ouvrières du jour d’une part, et sous le silence désapprobateur des livreurs de l’autre.

L’ambiance générale jurait avec une certaine austérité monacale que ces deux frères de la maison mère s’attendaient à trouver en ces lieux. Ce n’était pas la première fois certes que la liberté faisait scandale. On avait cependant du mal à associer des tenues de jeunes filles, convenables mais jugées exubérantes, à un centre vocationnel dirigé par les frères. Le scandale fit sa traînée de poudre, à Rosemère d’abord, puis dans toutes les maisons de la province communautaire.

Avant ce 8 juin, le projet d’un centre d’accueil adapté aux besoins du temps suscitait des interrogations, certes, mais aussi de la sympathie et des encouragements. Après cette date, nos allées et venues au sein de la communauté -et plus particulièrement à la maison mère- créeront un silence funèbre révélateur du fourmillement de questions qu’on n’ose pas poser, de même que d’une certaine anxiété qu’on éprouve quant à l’avenir de la communauté, mais qu’on cache tant bien que mal par peur d’activer le mauvais sort qu’elle annonce. Ce centre d’accueil, déjà suspect parce que hors les murs, prenait donc un bien curieux départ !

Des jeunes filles sur place et en légère tenue, telle serait l’image qu’on garderait comme affiche de notre projet et de nos intentions cachées. Comment concilier cette image de printemps avec le blason du Sacré-Cœur sanguinolent qui présidait à nos rassemblements communautaires ? Surtout, on me reprochait d’avoir usé de fausses représentations, d’avoir volontairement tu cette dimension de « mon centre d’accueil vocationnel mixte».

Comment expliquer ? La vie ne s’explique pas. Dire ou taire ses raisons ne la fait pas mieux vivre. Parfois le silence est d’or.

Mis à part ce petit nuage qui assombrit nos pensées, la journée fut radieuse. Radieuse comme le soleil qui l’éclairait et radieuse par l’esprit qui animait tous ces fondateurs d’un temps nouveau. Le dîner se déroula sous le signe du partage. Vers 17 h, une fois sa tâche terminée, chacune et chacun fit sa révérence se disant enchantée ou enchanté de la merveilleuse journée passée. On venait de fonder l’Arche. Ce serait notre maison à tous, quels que soient notre âge, notre sexe, notre état de vie.

La cerise sur le gâteau

Vers 19 h 30, nous étions déjà installés su’l’ perron, nous remémorant comme de vieux garçons que nous étions, les événements de cette journée. La soirée et le lendemain suivraient leur cours normal, espérions-nous.

Quelle ne fut pas notre surprise quand, quelques minutes plus tard, et tout au cours de la soirée, une bonne douzaine de ces jeunes de corvée, garçons et filles, viennent se joindre à nous pour un bout de veillée sur not’perron. Ce fut notre dessert de la journée, d’autant plus savoureux qu’il n’avait pas été ni prévu ni imaginé. Selon nos clichés, des jeunes de dix-sept ou dix-huit ans devaient fréquenter d’autres endroits un samedi soir qu’un perron occupé par quatre vieux garçons humant l’air du soir comme jadis vieillards leur pipe.

Ces jeunes forment avec nous, sur la galerie du 12036 rue l’Archevêque, un attroupement un peu bizarre. Des jeunes à peine passée leur mid-sixteenth Ils sont assis par terre, sur les marches, sans ordre ou dans l’ordre propre à cette catégorie de jeunes, l’apparence du désordre qui est l’affirmation des droits inaliénables de la vie sur la structure.

Sur la photo qui a saisi cet instant d’éternité, il est clair qu’ils sont gars et filles emmêlés dans leurs jambes d’adolescents qui n’ont pas fini de chercher la vie comme les plantes le soleil.

Il y a des couples aussi mais il ne s’agit pas de photo de mariage qui scelle les destinées ad vitam aeternam. Ce sont et ce sera toujours par la suite, des couples de l’instant dont la règle d’or non écrite est le respect absolu de l’instant, de sa ferveur, de sa foudre, de sa vocation de capteur de vérité.

Ces jeunes, des illuminés ou des éveillés de l’instant, nouveaux bouddhas chargés de propager jusqu’au sacrifice de leur vie la va-leur de l’instant, compagnon obligé de tout ce qui est vie.

La vie n’est pas carrière, elle n’est pas longue ou courte, belle ou moche, elle est instant. En dehors de l’instant elle s’étiole, dépérit et n’est plus vie, mais mort en survie. Et l’instant, il n’appartient pas au temps. On a tort de vouloir additionner les instants pour en faire le temps, l’instant appartient à la vie, point. Il est d’un autre ordre que le temps, l’ordre de l’éternité. L’éternité ne dure qu’un instant, l’instant est éternité c’est-à-dire plénitude non de parties mais de vie.

C’est, entre autres, ce que ces jeunes, réunis par une multitude de hasards sur le perron du 12036 rue l’Archevêque nous diront, chacun à sa façon, sans orchestration, quarante ans durant.

Qui sont-ils ? Il est temps que je vous les présente. Ils sont onze sur la photo mais il n’y a là aucune machination. Ils ne représentent pas les douze apôtres, Judas en moins, ni les douze tribus d’Israël. Ils sont légion. Ils viennent et partent, apparaissent et disparaissent pour reparaître, marionnettes de la vie qui, comme le dit la chanson, font leur petit tour de piste et s’en vont.

Dans l’ordre de l’instant c’est-à-dire de droite à gauche, Bernard et sa guitare, François le condescendant toujours d’accord à tout jus-qu’à ce qu’il trouve son instant, (Bizoune), l’instant de la parole en fleuve, Jacinthe, son amie de cet instant. Pacifique et Diane, deux instants anonymes, Marielle Parthenais, la suavité de tous les instants, Serge, l’instant du penseur, Pop et Ginette dont l’instant dure toujours après 40 ans.

Les autres vous seront présentés au fur et à mesure qu’ils feront leur petit tour de piste.

Cet attroupement banal de jeunes banals est un peu insolite car en fond de décor, qu’on ne voit pas sur la photo, il y a des jeunes moins jeunes, l’ombre de ce tableau et en apparence l’antithèse de ces jeunes, leur garant. Ils sont ce qu’il y a de plus sérieux dans le paysage de la jeunesse d’alors, ils font partie de la communauté des Frères du Sacré-Cœur.

Ils seront cinq au début Flo, Léo, Pierre, Gilles et Rémi. Réal viendra par la suite. Comment ces bonzes de la religion et de la structure s’intégreront-ils avec ces jeunes de l’instant?

Qui dans ce match de la vie prendra les commandes et donnera forme au projet qu’ils ont en commun? La suite le dira.

En effet, ce groupe banal et curieux est réuni sous une bannière qui figure sur la photo, ils forment « L’Arche des Jeunes ». L’Ancien et le Nouveau réunis sur la rue l’Archevêque, témoins et acteurs de la Révolution tranquille en ce 8 juin 1967, 20 heures. L’instant de l’Arche des Jeunes sera celui de ce samedi soir, celui du « pubzieutophonic, » celui de trois mois d’ajustements réciproques, celui de la restructuration, celui de la République de l’Arche, celui de la nouvelle arche, celui de sa dissolution, celui de ses anniversaires, celui de ses chansons et de ses créations.

Cette chronique veut en couvrir les principaux événements quarante-quatre années durant comme des tranches de vie déjà, témoins d’une époque déjà révolue, hélas ! Les jeunes eux, ils ne sont pas révolus. Même avec des cheveux gris et leurs titres de re-traités, de grand-mères ou de grands-pères, ils portent allègrement, vous en serez témoins, leur instant de vie. Cf Témoignage des fondateurs.
Bernard avait apporté sa guitare et la grattait accompagné de François V. On s’est raconté nos lubies, nos espoirs, nos vies.

On était bien ensemble. Le projet de former une famille avec ces jeunes n’était pas si farfelu que cela.

Les jours suivirent répétant les tonalités du bonheur. Mais là on ne venait plus pour travailler. De nouvelles figures apparaissaient chaque jour et chaque soir. Il fallut créer un comité d’accueil, émettre des cartes de membres, légiférer sur les limites d’âge d’admissibilité.

Les frères s’initiaient à la discipline de la présence, s’appliquant à intervenir le moins possible dans les dispositions que prenaient les jeunes. Les jeunes arrivaient surpris et exubérants exprimant le plaisir de se retrouver entre jeunes et de vivre leur liberté en dehors du foyer familial.

On s’interrogeait sur les intentions des frères et de la communauté en créant un tel centre. Pour certains il y avait anguille sous roche. Le contact assidu avec les frères dissipa vite ces craintes. Nous avions l’allure d’une famille, une famille grouillante mais animée d’un merveilleux esprit de partage et de confiance mutuels.

Plus qu’une maison et une maisonnée sise sur la rue l’Archevêque, l’Arche sera une épopée inscrite dans un temps qui dure toujours et qu’on peut découper en cinq étapes différentes..

1- L’Arche des pionniers, atelier ou l’on pratique l’art difficile de l’équilibre entre la structure et la vie, entre l’instant et la durée, le pouvoir et le service, le religieux et le profane, les jeunes, adultes et les adultes toujours jeunes…

Du 8 juin 1967 jusqu’à novembre 1968 c’est l’ère de Bernard et de Yolande, du «pubzyeuxtophonic», de la structuration et de la restructuration, des cafés du dimanche soir, des spectacles de danses, des chansonniers; une troupe de ballets, le gala du premier anniversaire, la souscription et le réaménagement figurent au palmarès des activités de cette première année.

2- L’Arche de la première République avec Hugues Chicoine.

Les activités prennent le pas sur la vie. De novembre 1968 à février 1969, l’Arche s’organise selon le système républicain avec son président et ses ministres. Le sport, la photographie, le journal l’Acné etc., deviennent des organisations fortement structurées. Comme toutes les jeunes républiques, la RAJ ne durera que quelques mois.

3- L’Arche en mode survie avec Marc-André Malette et quelques autres. De mars 1969 à juin 1970 l’Arche se réorganise, crée un sénat avec les anciens et une nouvelle structure d’encadrement pour les jeunes. C’est aussi un temps de désintégration. Le mal du siècle, la drogue, pénètre en nos murs et y fait d’importants ravages. le camp de la dernière chance à St-Alphonse, le voyage à New-York…

4- L’Arche d’une nouvelle fraternité religieuse. De décembre 70 à juin 71- Ultime effort des rescapés d’une vie religieuse en naufrage pour créer une nouvelle fraternité religieuse. Les instants d’un embryon à qui on donne très peu de chances de survie …

5- L’Arche aux différents ports de la vie, les retrouvailles quinquennales de 1977 à 2012… De nouveau, l’Arche à Bernard. Il en sera question dans le volume III.

En ce premier jour de l’an I, la fête sans banderoles et toute en accolades se poursuivit tard dans la soirée. Tous les augures prédisent une traversée sans embâcles. Se pourrait-il qu’on ait atteint la terre promise avant la traversée du désert ou plutôt, le Mont Ararat et l’arc-en-ciel sans passer par le déluge ?

C’est parti…


…que vogue la galère!

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Souvenirs des fondateurs: Cf. Témoignage de Bernard Demers

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