Les allures du dimanche, son costume, ses atmosphères, ses conversations même, débutaient à vrai dire le samedi soir, après la douche de 17h00. C’était alors comme s’il y avait changement complet de la garde. Tous, cravatés de rouge ou de bleu, portaient une chemise blanche propre fraîchement sortie des "calendes"(1). On cirait ses souliers, on mettait de l’ordre dans son casier et en classe, dans son bureau, on rangeait tout. On se tenait plus droit dans les rangs, bref, on se comportait comme s’il devait y avoir inspection générale ou visite d’un grand personnage.
Habitudes commandées par un ‘au cas où’ on aurait de la visite. En effet, le dimanche, c’était le jour de la visite. Tout semblait graviter autour de ce pôle.
Et si on annonçait pour le samedi soir une « séance » à la salle académique qui réunissait parfois toute la communauté du Mont ou la projection d’un film, ou même une soirée de famille, alors la fébrilité s’activait d’autant. Ces activités, en plus de l’intérêt qu’elles suscitaient, avaient aussi le pouvoir de retarder l’heure du coucher.
La matinée du dimanche, principalement réservée au Seigneur, prenait aussi une tonalité spéciale. Pas qu’on était particulièrement friands des offices religieux, mais le grand orgue, la grand-messe chantée et la prédication toujours un peu imagée de l’abbé Gagné apportaient au dimanche une solennité qui se décantait tout le long du jour. Souvent, il y avait aussi, après la grand-messe, des rencontres entre les juvénistes, les novices et les scolastiques, et ce, pour toutes sortes de raisons : exposition, visite des dessins et des décorations de Noël, fêtes de Noël et de Pâques, tournois ou compétitions sportives, etc.
Le moment le plus chargé de nervosité c’était lorsqu’après le dîner, vers une heure, dans la salle de récréation, on voyait arriver frère Aldéric, portier, qui, avant l’utilisation de l’intercom, faisait office de messager. Avec une certaine affectation, il mentionnait au surveillant de la salle les noms de ceux qui étaient appelés au parloir. Les jeux s’arrêtaient, tous les regards étaient tournés vers le surveillant qui, lentement, trop lentement, allait avertir les élus.
Le temps accordé pour les visites s’échelonnait de 13h00 à 15h00, un dimanche par mois. C’était à la fois très court et très long. Très court si on songe aux treize années de liens familiaux à condenser en deux heures. Très long car ces deux heures il fallait les passer assis sur une chaise droite, à se regarder, sans cantine ni distraction d’aucune sorte. Et quand il y avait des jeunes enfants ou des bébés qui piaillaient, c’était le comble de l’inconfort. On pouvait toujours aller faire une visite à la chapelle ou se promener à l’extérieur devant la façade principale de la propriété, mais comme distraction, c’était plutôt mince.
La matinée du dimanche, principalement réservée au Seigneur, prenait aussi une tonalité spéciale. Pas qu’on était particulièrement friands des offices religieux, mais le grand orgue, la grand-messe chantée et la prédication toujours un peu imagée de l’abbé Gagné apportaient au dimanche une solennité qui se décantait tout le long du jour. Souvent, il y avait aussi, après la grand-messe, des rencontres entre les juvénistes, les novices et les scolastiques, et ce, pour toutes sortes de raisons : exposition, visite des dessins et des décorations de Noël, fêtes de Noël et de Pâques, tournois ou compétitions sportives, etc.
Le moment le plus chargé de nervosité c’était lorsqu’après le dîner, vers une heure, dans la salle de récréation, on voyait arriver frère Aldéric, portier, qui, avant l’utilisation de l’intercom, faisait office de messager. Avec une certaine affectation, il mentionnait au surveillant de la salle les noms de ceux qui étaient appelés au parloir. Les jeux s’arrêtaient, tous les regards étaient tournés vers le surveillant qui, lentement, trop lentement, allait avertir les élus.
Le temps accordé pour les visites s’échelonnait de 13h00 à 15h00, un dimanche par mois. C’était à la fois très court et très long. Très court si on songe aux treize années de liens familiaux à condenser en deux heures. Très long car ces deux heures il fallait les passer assis sur une chaise droite, à se regarder, sans cantine ni distraction d’aucune sorte. Et quand il y avait des jeunes enfants ou des bébés qui piaillaient, c’était le comble de l’inconfort. On pouvait toujours aller faire une visite à la chapelle ou se promener à l’extérieur devant la façade principale de la propriété, mais comme distraction, c’était plutôt mince.
Les premiers arrivés avaient la chance d’avoir à leur disposition une pièce fermée où étaient rangées de six à huit chaises droites. Les autres visiteurs devaient se partager la grande salle du parloir donnant sur l’entrée principale.
Laisser son fils de treize ans aux soins d’un groupe d’hommes n’est pas sans causer certaines inquiétudes. Assez facilement, par demande spéciale, certains parents sont autorisés à accompagner leur fils dans l’enceinte du Juvénat. Les mamans surtout veulent voir l’état de la lingerie et vérifier si tout est bien rangé. Elles tiennent aussi à choisir elles-mêmes à la procure tenue par le frère Louis-Bernard les articles de classe ou de toilette requis. On aime aussi rencontrer le frère Maître pour acquitter les frais de la pension et s’informer des résultats scolaires et du comportement de son fils.
En été, la visite des jardins est aussi autorisée, de même qu’un séjour dans le kiosque attenant au cimetière. Certains dimanches, le parloir pouvait durer de 11h00 à 17h00. On apportait alors son lunch et on pouvait occuper le kiosque à l’extérieur et la grande salle du Juvénat. C’était, avant la consécration de l’expression, une activité de « portes ouvertes ».
Il n’était pas recommandé aux parents d’apporter des friandises à leur enfant. S’ils le faisaient, ces friandises devaient être montrées au frère Maître, être apportées au réfectoire et partagées avec les compagnons de table. Souvent, le soir du parloir, on voyait défiler sur la tribune du frère Maître une lignée de juvénistes qui offraient aux professeurs une partie du chocolat ou des gâteaux qu’ils avaient reçus.
Ma visite ne venait qu’à tous les trois ou quatre mois et jamais en hiver. Il en était de même pour quelques confrères qui provenaient de régions éloignées. Chaque fois que mes parents venaient au Mont, frère Maître venait nous voir au parloir, causait avec mes parents et nous autorisait à demeurer jusqu’à cinq heures et même à circuler à notre guise dans le Juvénat ou à l’extérieur.
À ma connaissance, mes parents n’ont jamais payé les 30$ par mois que coûtait la pension au Juvénat, de mon entrée à la prise d’habit.
À l’un des parloirs cependant, j’ai été témoin qu’ils ont remis, en s’excusant de ne pouvoir faire mieux, la jolie somme de 40$ pour les cinq ou six mois qui avaient précédé leur visite. J’ai l’impression que je n’étais pas le seul dans cette situation et jamais je n’ai entendu quelque remarque insinuante ou désobligeante à ce sujet.
Parfois, certains nouveaux juvénistes revenaient du parloir en larmes ou les yeux rougis par le virus de l’ennui. Le tourbillon des activités, la proximité des collègues et les attentions particulières du frère Maître avaient tôt fait de cicatriser ces plaies du cœur. Et le carrousel reprenait sa vive allure bouffant toutes les minutes et toutes les pensées de ces jeunes coupées de leur famille. Un temps mort était considéré au Juvénat comme la source de tous les maux. On l’évitait comme la peste.
Avertissement des défauts
À 20h15 le dimanche, après ce temps de relâche, la vie reprenait du sérieux.
Avertissement des défauts
À 20h15 le dimanche, après ce temps de relâche, la vie reprenait du sérieux.
« ll me semble avoir remarqué, mon cher frère Maître que notre confrère … mâche de la gomme pendant les études».
C’est Claude qui avertit Jacques d’un défaut qu’il devrait corriger. Frère Maître, juché sur sa tribune, en impose par son sérieux qui prend presque les traits de la sévérité. Une trentaine de juvénistes sont au programme de l’avertissement fraternel de ce dimanche. Il les nomme selon un ordre qui est le sien. Le juvéniste nommé se tient à genoux, la tête basse comme un pénitent du Moyen Âge. Il attend humblement le déluge des remarques que tout un chacun peut formuler sur son comportement.
Ceux qui avaient des avertissements à formuler devaient se lever et, à tour de rôle, énoncer leur remarque en utilisant la formule que tous savaient par cœur. Le frère Maître demandait à l’impliqué si cet avertissement était fondé. La plupart du temps ce dernier répondait par un signe de tête et frère Maître lui donnait alors une pénitence. Les pénitences pouvaient varier de la retenue à quatre heures devant la statue du Sacré-Cœur, un chemin de croix à la chapelle, ou, si c’était le cas, la présentation d’excuses auprès d’un confrère ou d’un professeur offensé.
Le stress n’était pas moindre si, par charité chrétienne, tu songeais à avertir un confrère d’un défaut dont tu avais été témoin. Alors, longtemps avant que son tour arrive, les papillotes rongeaient la phrase que tu avais préparée avec minutie. Le risque de bredouiller pouvait devenir paralysant.
Dans le secret des for intérieurs, ces séances étaient à la fois craintes et attendues : le « fascinans et tremendum » [2] du sacré. Un vieux relent de voyeurisme hérité sans doute des lynchages pratiqués sur la place publique au Moyen Âge. Un suspense comme on en éprouve avant un spectacle.
La formulation des avertissements était parfois cahoteuse ou frisait souvent le ridicule. Les remarques du frère Maître, quelquefois saugrenues, déclenchaient un rire général.
« Raymond Barbe … Quelqu’un a-t-il un avertissement à lui formuler? » Personne ne se lève. Très bien, dit le frère Maître, continuez à donner le bon exemple. Vous réciterez trois « Je vous salue Marie » pour le bien de votre âme.
"Claude Brousseau" – Vingt-cinq juvénistes se lèvent. Oui, commençons par Yves Beauséjour : »
«Il me semble avoir remarqué, mon cher frère Maître, que notre confrère manque au silence dans les corridors.»
Les vingt-quatre autres juvénistes se rassoient !
« Ce me semble évident » dit le frère Maître, «Ne revenez pas avec le même défaut la prochaine fois. En retenue et en silence devant la statue du Sacré-Cœur, de quatre heures à cinq heures, trois soirs de suite. S'il y a récidive, la prochaine fois ce sera le double ». Il y avait rarement récidive.
Dérivé de la coulpe qui figurait au programme de la vie monacale, l’avertissement des défauts était une pratique efficace qui ne faisait pas grand mal à personne. Ce qui se passait là était « top secret ». Jamais je n’ai entendu personne y faire allusion ou ridiculiser un juvéniste au sujet des avertissements reçus.
Frère Maître profitait de cette rencontre pour rappeler certaines consignes plus importantes, ou pour citer les félicitations reçues ou pour inciter les délinquants à s’amender.
Et on allait se coucher l’image de soi redorée ou en se formulant de bonnes résolutions.
Après un an de vie au Juvénat, le polissage avait fait son œuvre. Quelle éducation! De jeunes adolescents dociles et de bonne tenue qui s’inséraient, sans rechigner et avec plaisir même, dans les rouages d’une organisation bien huilée. «Sages comme des images » aurait dit ma mère!
(1) Calendes - probablement dérivé de "calendre" Machine employée dans les mines de charbon pour faire fonctionner les pompes d'épuisement selon dict. Bélisle - M. Nadeau
(2) Otto, philosophe et religiologue dans son étude sur le sacré, le définit comme ce qui attire ‘fascinans’ et ce qui est craint. ‘trémendum’.
Prochaine publication : # 8 - Retraites et amitiés particulières
Ce fut très agréable de lire ton article sur l'épisode du postulat,les drôlerie des l'avertissement des défauts, les moments magiques des pièces mémorables jouées à la salle académique. Ah! ces instants lumineux de notre vie au Mont-S-C.
RépondreSupprimerJ'ai aussi comme toujours apprécié ta visite lors de la fête du f. marie-Albert avec ton charmant frère Clément. C'est tellement facile , plaisant et enrichissant de vivre ces contacts avec toi.