« Il a gagné ses épaulettes maluron malurette »!
Nous sommes une cinquantaine de juvénistes et quelques professeurs, debout dans la boîte du camion.
« Ah ou…ouu!...houuouou » cri traditionnel en crescendo que nous lançons chaque fois que nous passons dans le tunnel qui sépare le Juvénat de la partie centrale du Mont-Sacré-Cœur. Ça résonne le bonheur. Nous sommes au début de juillet, à 9h00 du matin, en vacances depuis une semaine. Les cours d’été ne débuteront qu’après les six jours de retraite d’une nouvelle équipe de profs attitrés pour les vacances.
À la fin du déjeuner, avant de dire les grâces, le frère Maître a juste dit : « J’ai besoin de 50 volontaires pour ramasser des fraises à Saint-Césaire. Ceux qui veulent venir, présentez-vous dans la salle pour 9h30. »
À la fin du déjeuner, avant de dire les grâces, le frère Maître a juste dit : « J’ai besoin de 50 volontaires pour ramasser des fraises à Saint-Césaire. Ceux qui veulent venir, présentez-vous dans la salle pour 9h30. »
Cette activité a beaucoup de crédit auprès des anciens qui la vantent avec surenchère. Les nouveaux sont curieux de voir ce qu’on y fait. Nous sommes près de quatre-vingt dans la salle à vouloir y aller. Le frère Maître compte. Quand il a atteint son quota, il trace une ligne dans les airs. Comme dans l’Évangile, les élus sont à sa droite. Le camion les attend dans la cour. Les autres resteront à la maison sous la responsabilité du frère Césaire.
Je suis avec les élus, à la droite du Maître.
Sans faire ni un ni deux, après avoir agrippé casquette, vêtements et bottes de travail, nous prenons vite d’assaut le camion qui nous attend dans la cour au-dessus de la soute à charbon entre le Juvénat et la chapelle. Trois professeurs sont montés avec nous alors que frère Maître a pris place à l’avant avec le chauffeur, frère Aurèle.
Chanter « Il a gagné ses épaulettes…» après la sortie du tunnel en descendant sur la route qui coupe le verger en deux, c’est aussi une tradition qu’on ne manque pas de respecter. Cette chanson comme un coup d’envoi lance l’expédition. Tout le trajet se fait sous le signe de la bonne humeur, au rythme des chansons à répondre qu’on s’envoie à toute volée. Les gens se retournent pour nous voir passer. Nous les saluons avec une révérence affectée et continuons nos chants à tue-tête.
Nous n’avons pas du tout la mine de séquestrés, captifs du Mont pour la période des grandes vacances. Nous avons plutôt l’allure de gais lurons débordants de liberté, voyageurs vers un «wowhere» paradisiaque. Il nous semble que toute la campagne répercute nos voix en écho et que nous sommes en ces lieux des hérauts porteurs de bonnes nouvelles.
Saint-Césaire, un petit village de campagne où l’on pratique plusieurs cultures spécialisées. Les fraises, les framboises et les pommes comptent parmi les principales productions de la région. Les Frères de Ste-Croix y tiennent un Juvénat depuis belle lurette, mais telle n’est pas notre destination.
Le village passé, nous empruntons une petite route qui nous conduit à un immense champ tout divisé en rangées bien droites. Devant chaque rangée, il y a déjà une pile de paniers à remplir. On nous répartit sur tout le champ à quatre par rang, deux à chaque bout. Quatre ou cinq juvénistes plus anciens ont la fonction de ramasser les paniers remplis et de les apporter au centre de tri. Les rangs sont propres, dénudés de mauvaises herbes et les entre-rangs sans boue sont couverts de paille. Les fraises, abondantes, grosses, rouges et savoureuses à souhait. Aucun interdit ne contrôle les gourmandises. Seule l’ambition d’arriver parmi les premiers avec un plein panier les tempère un peu.
Continuant les tonalités du voyage, on chante, on se crie d’un rang à l’autre, on donne de la voix à nos exclamations et à notre joie de vivre. Après une demi-heure de cette euphorie, les chansons se font plus rares et tombent souvent à plat, les exclamations ne trouvent plus de réponse. La cadence, moins fébrile devient efficace. Les paniers pleins s’alignent au bout des rangs.
De temps en temps je lève les yeux vers l’horizon dans l’espoir d’y voir de gracieuses silhouettes s’y profiler comme les baigneuses du fond du rang St-Alexandre. Jamais elles ne parurent. Nous ne sommes plus ici dans l’univers de la fascination des fraises sauvages destinées à la savoureuse mousse aux fraises, mais dans celui de l’industrialisation des petits fruits destinés aux grands marchés.
Combien de paniers avons-nous ainsi remplis? Aucune archive ne nous le dira. La récolte était bonne, les cueilleurs sans expérience étaient ardents, le fermier affichait un sourire de satisfaction. Frère Maître empocha les sous convenus. Il jubilait à la pensée de tout ce qu’il pourrait acheter en équipement sportif pour ses chers enfants: patins, skis, gants, bâtons et balles…
Ces revenus d’appoint n’entraient pas dans le budget régulier du Juvénat. Ils servaient à fournir et à entretenir l’équipement sportif, à garnir de cadeaux l’arbre de Noël et à permettre des gâteries non prévues au programme régulier.
Frère Césaire avait prévenu les cuisiniers de notre retard. Nous sommes revenus vers une heure, les joues bouffies de soleil et les yeux pétillants de ces joyeux moments. Après le dîner et le branle-bas habituel, c’était temps libre pour le reste de l’après-midi. À cinq heures, pour respecter l’atmosphère des vacances, on a récité le chapelet et fait la lecture spirituelle au grand air, dans le kiosque situé aux confins de la propriété entre les jardins et le cimetière.
Nos vacances au Juvénat, une variété d’activités qui comme des feux de Bengale ont colorié mes souvenirs de joyeuses teintes aux vives couleurs.
Voici les plus mémorables.
Les excursions de cueillette de petits fruits comme celle que nous avons décrite et qui pouvaient se répéter quatre ou cinq fois durant l’été étaient toujours très populaires.
Le Mont Shefford, un coin de paradis
Munis de bâtons, à la suite du Frère Maître toujours ardent amateur de la marche, nous partons de b onne heure sur les routes de gravier d’abord, puis en rang, deux par deux, sur la route numéro 1 en direction de Sherbrooke, jusqu’à un sentier qui permettait de gravir facilement le mont jusqu’à son sommet.
Une merveille qui nous émerveillait toujours nous y attendait toujours : un petit lac prisonnier des monticules de verdure qui le gardent comme dans un écrin. Des légendes racontaient que ce lac était sans fond parce que c’était le cratère d’un ancien volcan éteint depuis plusieurs millions d’années.
Une merveille qui nous émerveillait toujours nous y attendait toujours : un petit lac prisonnier des monticules de verdure qui le gardent comme dans un écrin. Des légendes racontaient que ce lac était sans fond parce que c’était le cratère d’un ancien volcan éteint depuis plusieurs millions d’années.
Quelle fascination! Sceptiques, on écoutait ces légendes de dragons qui crachaient le feu et qui sortaient de partout, transmises par la tradition orale. Ces légendes, entremêlées de données pseudo-scientifiques concernant les volcans, la géographie du Québec d’il y a six mille ans, la mer de Champlain, l’âge de la terre, les petites étoiles qui sont des soleils etc. alimentaient nos rêves et nos conversations pendant une bonne partie du trajet.
On redescendait de la montagne par étapes. Aux nombreux temps d’arrêt, les plus acrobates grimpaient aux arbres, d’autres cueillaient des plantes rares qu’ils fixeraient dans leur herbier, ou bien on flânait tout simplement embrayés sur la détente.
À l’une de ces excursions, je m’en souviens, le frère Armandin, armé d’une carabine 22, m’avait choisi avec quelques autres privilégiés pour en tirer quelques coups dans le bois. Voulait-il s’excuser de m’avoir taloché aux calendes([1]) pour me punir de mes insolences? Je pris le fusil comme si c’était un vase sacré et je tirai en prenant toutes les précautions que l’on m’indiquait. Un sentiment bizarre m’animait. je savourais le privilège, mais l’impact de la détente, l’écho de la détonation se répercutant dans la montagne et la senteur de la poudre me laissèrent un goût amer. J’ai dit merci mais il n’y eut pas de répétition.
Au bas de la montagne, le frère Aurèle nous attendait, son camion chargé de victuailles assez abondantes pour nourrir une armée entière. Le jovial et volumineux frère Paul-André, cuisinier des vacances, nous avait préparé toutes sortes de gâteries qui coupaient la routine des mets habituels.
Gourmandises de soleil, gourmandises de rêves, gourmandises de gâteries, bombance de petits bonheurs dont on faisait goulûment le plein.
Gourmandises de soleil, gourmandises de rêves, gourmandises de gâteries, bombance de petits bonheurs dont on faisait goulûment le plein.
L’après-dîner garde le même tempo. On a encore le temps de gambader avant que le retour ne soit sifflé.
Rentrés fourbus sous la chaleur de l’été, nous sommes dus pour une bonne douche. À cinq heures pile, nous serons en temps libre jusqu’au souper, ce qui est une autre aubaine fort appréciée.
À la piscine
Deux fois par semaine, lorsque le temps le permettait, le long défilé des juvénistes deux par deux, en chemise blanche et cravate, descendait la côte pour se rendre à la piscine de la ville située à environ deux kilomètres du Juvénat. C’est là que la plupart d’entre nous avons pris nos premières leçons de natation.
Au retour, la transpiration sous le soleil de trois heures nous faisait perdre la fraîcheur acquise dans la piscine. Mais on était contents, conscients de notre privilège de pouvoir nous baigner ainsi deux fois la semaine. Et comme bonus, il arrivait qu’on s’arrêtât à l’école St-Joseph. Les frères en vacances nous réservaient tout un accueil débordant de gâteries. Un important temps libre terminait l’après-midi.
À la piscine
Deux fois par semaine, lorsque le temps le permettait, le long défilé des juvénistes deux par deux, en chemise blanche et cravate, descendait la côte pour se rendre à la piscine de la ville située à environ deux kilomètres du Juvénat. C’est là que la plupart d’entre nous avons pris nos premières leçons de natation.
Au retour, la transpiration sous le soleil de trois heures nous faisait perdre la fraîcheur acquise dans la piscine. Mais on était contents, conscients de notre privilège de pouvoir nous baigner ainsi deux fois la semaine. Et comme bonus, il arrivait qu’on s’arrêtât à l’école St-Joseph. Les frères en vacances nous réservaient tout un accueil débordant de gâteries. Un important temps libre terminait l’après-midi.
Le baseball
C’était le seul sport d’équipe que l’on pratiquait en été au Juvénat. Ma torture! Deux fois la semaine et parfois trois, je subissais l’humiliation d’être choisi le dernier et de me ramasser pendant plus d’une heure au poste de la quatrième vache, là où les balles ne venaient jamais. Et en plus, je devais affronter la honte des trois prises chaque fois que je devais me présenter au bâton. Les résultats de chaque joute étaient comptabilisés, ce qui ajoutait au poids de mes incompétences. Mais c’était ainsi, la vie de groupe avait des exigences non négociables.
Le soir, en temps régulier, nous jouions au drapeau sur le gravier. On en revenait tout couverts de poussière et souvent, une glissage non contrôlée nous éraflait la peau ou les vêtements. Durant les vacances d'été, on jouait plutôt au roi, un jeu venu du Moyen Âge qui pouvait durer plus d'une heure et qui faisait plus appel à la compréhension des astuces et à l'intelligence des stratégies qu'à la force et à l'endurance des muscles.
Un avant-goût de sciences
Les matinées, de 9h00 à 11h30, un prof réputé pour sa compétence en la matière nous initiait aux rudiments des sciences naturelles. L’anatomie, la botanique, la géologie, nous ouvraient des univers inconnus. Apprendre que notre corps était composé de milliards de cellules invisibles gonflait nos poumons d’un savoir qui nous coiffait prématurément du mortier universitaire. On en parlait souvent entre nous. L’émerveillement, quel puissant moteur de tout apprentissage!
Les soirées
L’occupation de nos soirées était aussi fort variée. Les soirées de famille, le visionnement de film de l’ONF ou, à l’occasion, de longs métrages en 16 mm qui nous étaient gracieusement offerts par des organisations paroissiales de la ville, des tournois de tennis, de baseball ou de croquet revenaient périodiquement au menu des soirées. Le coucher étant fixé à 21h30, la récréation du soir pouvait se prolonger jusqu’à neuf heures.
À la fin d’août, une trentaine de nouveaux juvénistes se joignaient au groupe qui avait été réduit depuis la fin de juin par le départ des postulants pour le noviciat. Autant d’anciens étaient alors promus anges gardiens et les nouveaux de Pâques devenaient des anciens et changeaient la couleur de leur cravate. Septembre ramenait l’horaire régulier et l’ancienne équipe des professeurs à laquelle s’ajoutaient de nouvelles figures.
À la fin d’août, une trentaine de nouveaux juvénistes se joignaient au groupe qui avait été réduit depuis la fin de juin par le départ des postulants pour le noviciat. Autant d’anciens étaient alors promus anges gardiens et les nouveaux de Pâques devenaient des anciens et changeaient la couleur de leur cravate. Septembre ramenait l’horaire régulier et l’ancienne équipe des professeurs à laquelle s’ajoutaient de nouvelles figures.
Les vacances avaient passé à la vitesse des jours heureux et sans histoire.
Tous étaient satisfaits d’avoir passé de si belles vacances. Je n’ai jamais entendu de plainte au sujet de « ces jeunes martyrs, qu’on emprisonnait loin de leurs parents pendant les plus beaux jours de l’été. » Même les parents se réjouissaient. Leur enfant était à une bonne place, ils n’avaient pas à s’inquiéter.
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(1) Ainsi appelions-nous la buanderie. Tous les mercredis après-midi un groupe d’une dizaine de juvénistes y allaient pour aider au pressage et au rangement du linge de toute la communauté, Il y avait toujours un frère du Juvénat qui y était à titre de surveillant. L’endroit, humide et chaud, surchauffait aussi les impatiences de part et d’autre. Une fois, alors que Frère Armandin était surveillant, j’avais été particulièrement dissipé. Frère Armandin nous avait mis au silence. Je commis des insolences. Son impatience à bout, il me talocha assez sévèrement. Après le travail je reportai la situation au frère Maître. C’était un peu avant notre visite su Mont Shefford. Je n’en avais pas réentendu parler. Je n’ai pas été témoin d’autres débordements de ce genre pendant tout mon Juvénat. Je l’avais un peu mérité ou provoqué!
Prochaine publication : # 6 - La bourse aux valeurs affectives
Merci Clément, de me transmettre fidèlement les textes de Florian!
RépondreSupprimerJ’attends patiemment son nouveau récit chaque semaine, que je savoure à petites lampées!
Comme c’est bien écrit et comme je me retrouve dans chacune de ses aventures!
Vivement la fin de semaine prochaine!
J’ai hâte de lire la suite!
Merci Florian!