samedi 27 novembre 2010

32- Les sorties de communauté de 62 à 71


Un homme est fait de choix et de circonstances.
Personne n'a de pouvoir sur les circonstances,
mais chacun en a sur ses choix. [Eric-Emmanuel Schmitt]

Il faut savoir quitter la table
Lorsque l'amour est desservi
Sans s'accrocher l'air pitoyable
Mais partir sans faire de bruit
Charles Aznavour

1946 - Au noviciat. Ouf ! Un bon match de tennis . Vous vous souvenez, le tennis au sud de l'aile du Noviciat, en bas du talus, jouxtant Les Buissonnnets.(1) Naturellement, c'était un tennis en terre battue, de gravelle  jaune ocre. Chaque printemps on devait clouer les galons au sol. Par grande chaleur, il fallait arroser et passer l'égalisateur (un morceau de bois sur lequel était fixé une traîne de tissu de jute).

Enfin, je l’avais emporté sur lui.

Une chaleur de juin soulevait une poussière jaune qui couvrait de patine grise nos soutanes noires. On jouait avec nos souliers de tous les jours, le scapulaire enroulé à  la ceinture, le devant de la soutane relevé à la taille. J’avais l’habitude d’affronter ainsi frère Albert, alias Claude, ou aussi Jean-Claude, (Frère Raymond) à la récréation du midi, après les emplois. Nous étions de force et de sueurs égales.

Gonflé par ma victoire, je lui offris des sympathies, faussement superbes, habillées de défi.

Au lieu de répliquer sur le même ton, ce midi-là, il inclina la tête à gauche, fit un pas de côté, un peu à l’écart, dans un enclos à confidences. Un rictus de tristesse à la joue droite m’annonça qu’on avait changé de registre. Le jeu était fini. C’était grave. Trois syllabes chuchotées à l’enseigne du secret : - « Il est sorti » - «Benoît ? Quand ? » - « La semaine dernière… il m’a écrit ». Relevant la tête, il esquissa un furtif geste de dénégation comme pour tout annuler. J’avais compris.

Départ d'un profès temporaire

La cloche annonçant la rentrée ferma les voies de l’impasse. Une émotion sans mots restera là, au fond, dans l’inédit. Son frère Benoît dont il m’avait beaucoup parlé, qui était frère comme lui voulait l’être, avait quitté la communauté après trois ans d’enseignement, avant ses vœux perpétuels. Il venait de compléter son baccalauréat ès arts à l’Université de Montréal.

Un ciel noir bloquait l’horizon de nos pensées. L’après-midi fut lourd. Ce soir-là, je mis du temps à m’endormir. Je passais en revue les images de cet autre monde que trois ans au Mont-Sacré-Cœur avaient encapsulées, ne laissant le droit d’entrée qu’à l’imaginaire. Un monde plein de mystères et de dangers. Retourner dans le monde, c’était comme passer à l’autre monde.

Sans que personne ne répète la nouvelle, elle se répandit dans tout le Noviciat sous le couvert du silence des chuchotements. La sortie de communauté, une de ces nouvelles sans mots qui reste là, au fond de soi, un poids dans l’âme, dans la communauté.

Ce malaise, comme une grippe saisonnière, revenait chaque année à la fin de juin. Les vœux temporaires tenaient d’une retraite à l’autre. Pendant cette retraite de six jours, ou celle de vingt et un jours pour les aspirants à la profession perpétuelle, les frères qui ne voulaient pas renouveler leurs engagements en étaient libérés. Les deux ou trois frères qui chaque année, bon an mal an, retournaient ainsi dans le monde, quittaient les rangs sans tambours ni trompettes, sans même en parler à personne d’autre qu’au supérieur provincial. On réalisait qu’ils n’étaient plus là, ce qui mettait en marche la machine à chuchotements qui pénétrait partout, traînant son atmosphère de déception et de surprise. Un climat de regrets, de tristesse et de silence comme celui qui dans les familles annonçait une fausse couche. Triste, mais normal.

Départ d'un profès perpétuel

Lorsque, généralement vers le milieu des vacances, l’annonce du départ d’un profès perpétuel commençait son bouche à oreilles, alors tout s’amplifiait: le silence, les chuchotements qui s’exprimaient en hypothèses, les commentaires qui supputaient les causes mais qui respectaient toujours celui qui « avait été notre frère ». Plus le frère avait de l’âge, plus la douleur était profonde, la surprise générale, le regret tenace comme pour celui d’un être cher parti pour une destination inconnue. Toujours aussi, les rangs se reformaient et la vie reprenait.

Dans les années 60 – une épidémie non contrôlable

Certains étaient mes amis, tous étaient mes frères, je les connaissais tous. J’ai admiré leur savoir-faire, leurs talents m’ont ébloui, leurs réalisations me réjouissaient. Ils avaient œuvré avec intelligence et ténacité à la mise à jour de notre famille. Ils sont partis, tous ou presque, un à un, dans le silence de la discrétion. Ils étaient âgés de 20, 30, 40 ans et même de 60 ans. Plusieurs avaient 25 ans et plus de vie religieuse.

Ils n’étaient pas des tièdes. Leurs œuvres et leurs implications le disent.  Ils avaient fait le bon choix. Ils continueraient avec la même ardeur, sous d’autres bannières à allumer des prunelles, à semer la confiance en soi et à la vie, à éclairer la route des devenirs non prévus.

Je ne craignais pas pour eux, mais j’aurais tant voulu qu’ils restent pour refaire aux couleurs du jour les murs de notre demeure. Ils ont essayé avec générosité et ardeur de relever le navire qui tanguait à tout vent. Avec eux et plus que jamais, j’ai espéré qu’on y arriverait. L’enthousiasme et la solidarité étaient de la partie et on semblait tout-puissants.

Plus lucides que moi ils avaient compris avant moi que c’était peine perdue, que la saison était passée, qu’il était temps de lâcher prise.

Pourquoi sont-ils sortis ?

Pour quelles raisons avez-vous quitté ? ai-je demandé récemment à plusieurs anciens frères et d’anciennes sœurs de ma connaissance. L’un m’a répondu avec cette image qui dit tout: « Quand il n’y a plus de feu, les pompiers s’en vont ». Cette phrase laconique dit toute la révolution tranquille. Les sœurs et les frères ont fait oeuvre de pompiers volontaires. Ils ont suppléé longtemps à l’État qui ne prenait pas ses responsabilités. Leur service rendu à bout de bras et à petit salaire a sauvé les meubles et assuré la survie d’un peuple.

En 1964, les Ministères de l’éducation et de la santé sont arrivés débordants de ressources et de visées neuves. Ils ont occupé la place, toute la place. Tant mieux ! L’ère des frères et des sœurs était révolue. Il fallait savoir quitter la table

C’est la raison principale qui explique le départ de la plupart des trente anciens religieux et religieuses que j’ai questionnés.

Un seul, qui a quitté au début des années 60, m’a répondu avec franchise qu’il avait quitté pour la femme et pour fonder un foyer bien à lui. Certains ont reconnu qu’ils étaient entrés au Juvénat pour faire du sport, qu’ils avaient aimé l’enseignement mais qu’ils n’avaient jamais cliqué à la spiritualité de la vie religieuse. La possibilité de continuer à enseigner sans être religieux les a libérés. Une ancienne religieuse m’a avoué être entrée en communauté à dix-huit ans par crainte des hommes. La vie religieuse était une protection. Après quelques années, elle s’est enhardie, elle a quitté et s’en trouve libérée. Mais c’était l’exception.

Tous m’ont dit qu’ils avaient bien aimé le temps qu’ils ont vécu en communauté, qu’ils ne regrettaient rien. On a quitté sans regrets, juste un peu de tristesse d’abandonner une famille qu’on avait chérie et qui s’en allait à la dérive.

Personne n’a le sentiment d’avoir démissionné, d’être une ou un défroqué. On y voit plutôt un réalignement de carrière. Auriez-vous pu continuer longtemps ? Ai-je demandé. « Quand l’automne est arrivé, on ne peut, quoi qu’on fasse, empêcher les feuilles de tomber ».


Combien sont sortis?

La saignée commencée en 1962 par la « débâcle de juin » atteignit son plus grand débit dans les années 68 à 71. En 1931, l’Institut comptait 1342 profès. Ils atteignit le sommet, de 2894 profès en 1964 soit un accroissement moyen de 47 profès par année. En 1976 on ne compte plus que 2042 profès, soit une diminution de 852 profès donnant une moyenne de perte de 71 profès par année. En terre canadienne, les pertes sont plus importantes. Elles sont compensées par les districts de mission qui connaissent une diminution moins marquée. En 2006, l’Institut ne comptera plus que 1192 sujets soit une diminution de 58% des effectifs de 1964.

Bien que le pécule fourni par la communauté fût mince et variable, (100$ par année de profession), personne n’a été vraiment dans le besoin à sa sortie de communauté.

Toutes les congrégations religieuses de sœurs et de frères, et même le clergé et les congrégations de clercs, ont connu des taux semblables de diminution de leurs effectifs.

Le déclencheur

Dans la plupart des cas, la décision de demander son indult ou de ne pas renouveler ses vœux s’est prise dans un temps assez court. Un rien pouvait faire basculer le désenchantement vers la sortie : une nomination qui indisposait, un confrère qui avait quitté, une incompréhension de la part d’un supérieur, une attitude mesquine, un refus d’accepter sans raison une adaptation jugée importante, etc.

Grandeurs et mesquineries

Quand un navire affronte la tempête, on peut s’attendre de la part du capitaine et des matelots à des réactions imprévisibles. Magnanimité et courage d’une part, mesquineries et panique de l’autre.

C’est ce qui s’est passé au plus fort de cette tempête du siècle dans la province de Montréal.

D’abord un recyclage théologique selon les nouvelles perspectives élaborées par le concile Vatican II. Le frère Marcel chroniqueur de l’annuaire de l’Institut pour la province de Montréal en l’année 1962 en fait un bref compte-rendu : Dans le but d'opérer en eux-mêmes une véritable réforme intérieure et d'approfondir l'esprit évangélique, des groupes de Frères ont répondu à l'invitation de repenser leur vie religieuse face aux données du monde moderne. A deux reprises, en janvier et en mars, les Frères Directeurs se réunissaient dans ce but, à la Maison St-Paul du boulevard Gouin. Les Frères de quarante ans et plus tinrent leur réunion à Montréal, le 7 avril, ils ont publié un rapport de leurs réflexions sur la vie religieuse, l'apostolat, la direction locale et les règlements généraux.


La ville d'Oka a été le centre de quatre réunions tenues pour les plus jeunes profès.


Il faut placer dans le même mouvement la réunion des responsables des maisons de formation tenue à Rosemère, les 19 et 20 janvier. C'est à un même esprit de renouvellement et à un souci d'authenticité qu'il faut rattacher les cours sur la vie religieuse donnés par le Frère Florian pour les jeunes Frères. Ces cours, qui s'appuyaient sur « Témoins de la Cité de Dieu » du Rév. Père Carpentier, se sont donnés à Montréal, tous les vendredis, de février à mai.

Les 27 et 28 décembre, un groupe d'une trentaine de Frères du cours secondaire, particulièrement intéressés au recrutement, suivirent une récollection organisée par les FF. Jean-Roger, Bonaventure, Louis-Denis et Guy-Marie, à la Maison de Retraites des Pères Oblats de Ste-Agathe, pour discuter des plus actuels problèmes de la vie religieuse.

Toutes ces réunions ont été marquées du souci de collaborer le plus étroitement possible avec les supérieurs et de s'adapter, sans détriment pour la vie religieuse, aux exigences apostoliques actuelles. Elles se sont déroulées dans un climat de profonde charité et dans un esprit de remarquable franchise. Nous estimons qu'elles ont contribué pour beaucoup à rehausser l'esprit religieux des Frères de la Province, à les renouveler intérieurement et ont ainsi aidé à assurer la persévérance.
(Cf. Annuaire de l’Institut des Frères du Sacré-Cœur - 1962-1963, p. 161-162)

Le même élan d’insertion dans la Modernité s’est manifesté dans la création d’une colonie de vacances les « Boute-en-train », dans le renouvellement des manuels de français et d’arithmétique, dans l’implication des frères dans les nouveaux mouvements diocésains, la Pastorale des religieux, l’extraordinaire effort de renouvellement de la catéchèse en plus de leur participation aux mouvements diocésains existants : Croisés et de l’Action catholique sans tenir compte d’une multitude de clubs d’éducation de la jeunesse en dehors des cadres et du temps scolaires. Partout on se retroussait les manches et on relevait le défi d’un complet renouvellement de ses valeurs, de sa pensée et ses engagements.

Le chroniqueur note aussi l’immense effort fait par la province pour hausser le niveau de scolarité des frères.

"Bientôt tous les professeurs du cours secondaire devront être détenteurs d'une licence en leur matière d'enseignement." Idem p. 168

"Durant l'année scolaire, cinq Frères étaient aux études à plein temps et dix-sept à demi-temps, en vue de la préparation d'une licence. Durant les vacances d'été, la Province avait 120 Frères répartis dans diverses universités, écoles normales et centres de perfectionnement, pour le brevet A, le bacc.es arts, le bacc. en philosophie, etc.; le M.A., la licence." Idem p.168

L’effort missionnaire fut maintenu et accentué pendant cette période. Bref le renouveau avait dans la province de Montréal le vent dans les voiles.

Dans ma province, j’accorde le premier prix de la grandeur et de la magnanimité au frère Gérald, provincial de 1957 jusqu’à 1966. Il a dû gérer la décroissance,(2) ce qui veut dire fermer des maisons et relocaliser les frères, tout en gardant le cap sur l’essentiel : le maintien d’une formation de qualité, la vitalité communautaire et le soutien à toute espèce de projets. Pendant son règne, il a dû fermer 11 maisons, il a envoyé 25 nouveaux missionnaires en Haïti et en Afrique, et favorisé les études à plein temps d’un plus grand nombre de frères que jamais. Il savait écouter et encourager les initiatives les plus osées.
Il faut aussi donner crédit aux supérieurs provinciaux du Canada qui ont institué les Cent-jours de ressourcement spirituel à St-Anicet pour les jeunes religieux qui désiraient faire le point sur leur vie religieuse.

 La plupart des anciens frères consultés indiquent que le supérieur qui a reçu leur demande de sécularisation  a manifesté beaucoup d’attention, de sollicitude et de gratitude à leur égard.

Panique et mesquineries


Devant la montée de la tempête, les supérieurs majeurs ont pris peur. Au lieu de s’ouvrir aux temps nouveaux, ils ont préconisé une stratégie de repli. Repli sur la tradition et prudence excessive devant toute initiative nouvelle. Pourtant le chroniqueur de la province de Montréal a bien précisé le bon esprit qui avait présidé à toutes ces rencontres de mise à jour qui, bien que initiées par quelques-frères, avaient toutes obtenu l’aval du supérieur provincial. On aura choisi d'écouter d'autres sons de cloche. 

Ainsi, le chapitre général de 1958 rejeta-t-il presque toutes les propositions d’adaptation présentées, ce que le chroniqueur, frère Stanislas, relève en écrivant : « Après la fin des travaux, il était clair que le chapitre avait retenu seulement les propositions à tendance conservatrice et avait rejeté tous les projets de nature innovatrice, comme l’adoption des noms civils, des changements à l’habit, les règles sur l’usage du tabac, les visites en famille et les vacances … » Cf. ANNUAIRE de l’Institut des Frères du Sacré-Cœur, 1906-2006, p. 132.

Le chapitre de 1964 maintiendra la même ligne, de sorte que le chroniqueur écrira cette fois:

« Alors que l’Église demandait une adaptation de la vie religieuse aux temps actuels, les ordonnances du chapitre renforçaient plutôt la lettre des constitutions existantes. » Idem, p. 134

Ce chapitre élira le frère Jules Ledoux qui avait présenté un projet de réforme jugé rétrograde que les capitulants ont rejeté.

La crainte s’était emparée du conseil général devant les poussées avant-gardistes développées dans la province de Montréal, de sorte qu’à la fin du mandat du frère Gérald, provincial, on dégomma tout le conseil et, sans consultation auprès des frères, on nomma un supérieur provincial qui semblait avoir la mission de mettre de l’«ordre dans la cabane ».

Cette nomination jeta une douche d’eau froide sur tous les projets de révision des règles et constitutions. Commentant ces nominations au supérieur général,  le frère Ledoux, et, déplorant qu’elles aient été faites sans consultation j’écrivais ces mots durs que je croyais refléter le sentiment général des frères de la Province : Un mot de l’un d’eux, dur et injuste à bien des égards, traduit partiellement ce que plusieurs frères ont pensé au moment de la nomination : ‘Les supérieurs se sont donné de dociles inférieurs plutôt qu’ils ne nous ont donné de véritables supérieurs. Cf. Lettre du 8 octobre 1966.

Les deux frères membres de l’ancien conseil que les frères auraient souhaité avoir comme supérieurs furent pris à partie. L’un fut interdit de séjour dans les maisons de la province et l’autre dut demander un indult d’exclaustration. Finalement, les deux, avec beaucoup d’autres, n’eurent d’autres choix que de quitter la communauté.

La suite des événements montra une espèce d’acharnement de la part du nouveau supérieur provincial à tuer dans l’œuf toute initiative de renouveau. Aussi ce que je disais craindre en terminant cette lettre au supérieur général s’avéra, hélas juste :

« Si j’ai osé écrire comme je l’ai fait, c’est que je sens vraiment que l’heure est grave pour les frères du Québec. La perte de la foi en notre vocation de Frère s’accentue. Ce qui est plus grave c’est qu’on en vient à ne même plus espérer. On ne croit plus la remontée possible. On se voit impuissant à répondre aux besoins et à l’attente des jeunes."  Cf. Lettre du 8 octobre 1966

La même année, 1966, dans le motu proprio Ecclesiae sanctae, l’Église demande à toutes les congrégations religieuses de convoquer un chapitre général extraordinaire « pour assurer une consultation libre et entière de tous les membres ». Annuaire p. 134 

La préparation de ce chapitre général entraîne la création d’une multitude de comités d’études en vue de préparer les vœux de la province au prochain chapitre général qui se réunit en 1968 en vue de procéder à une profonde révision des Règes et Constitutions.

Les jeunes frères se mobilisent. Ils sont une trentaine. Plusieurs d’entre eux ont fait les Cent- jours à St-Anicet et plusieurs ont prolongé leur profession temporaire d’un an ou deux. Ils demandent que le chapitre provincial prolonge de trois ans les vœux temporaires. Leurs études ayant été prolongées, ils veulent expérimenter sérieusement leur engagement apostolique dans l’enseignement avant de prononcer leurs derniers vœux. Ils souhaitent aussi une plus grande ouverture de la communauté vers des formes d’apostolat plus adaptées aux besoins de notre temps. Leurs demandes sont rejetées. Ils quittent le chapitre « la mort dans l’âme ». Les efforts qu’ils avaient faits pour renouveler la vie religieuse, les souhaits et les idées qu’ils avaient émises étaient rejetés.

Le climat se détériorait, la communauté était plus ou moins divisée en deux clans, les traditionalistes et les avant-gardistes. Les jeunes qui avaient tenté un ultime effort furent déçus de l’attitude du chapitre provincial et plusieurs quittèrent à Pâques, les autres à la fin de l’année.

Les contrats avec la commission scolaire étant devenus individuels ces frères, libérés de leurs vœux à la fin de la retraite de Pâques, encaissèrent leurs chèques. En représailles le frère provincial fit mettre des cadenas à la porte de la résidence qu’ils habitaient. Ces ex-frères soumirent leur cas au syndicat dont ils étaient devenus membres en signant leur engagement. Le syndicat les appuya contre la communauté. La cause resta sur les tablettes des oubliettes, Ces ex-frères ne reçurent pas le pécule habituel remis aux partants.

Petite histoire, mesquineries explicables par la panique que causait cette hémorragie galopante qui gagnait de plus en plus les sujets les plus religieux de la province.

Les frères qui sont restés en communauté ont évité de blâmer ceux qui sortaient et ils ont maintenu avec plusieurs d’entre eux des liens de franche fraternité. Plusieurs anciens frères qui le désiraient ont pu continuer leur enseignement dans l’école où ils étaient avant de quitter.

Quelques années plus tard, en 1972, on créera une amicale des anciens frères qui a toujours su maintenir des relations très étroites avec la communauté.

À l’intérieur, on a fini par accepter l’évidence, On ne pourrait plus rebâtir la communauté. On resserra les liens, on fusionna les provinces, et les maisons de formation les plus prestigieuses furent cédées à des organismes laïcs de relève institutionnelle.

Plusieurs frères, par groupes de trois ou quatre religieux, prirent résidence dans des habitations communes sans afficher aucun signe d’appartenance à une communauté religieuse. Chacun dut trouver sous forme de bénévolat ou d’engagement personnel la mission apostolique qui lui convenait le mieux.

Aujourd’hui, il reste 250 frères au Canada. Leur moyenne d’âge est de 75 ans.(3) Les frères qui requièrent le plus de soins sont regroupés dans deux infirmeries l’une à Québec et l’autre à Bromptonville.

Il ne reste que quelques institutions à vendre mais on estime que d’ici un an ou deux tout devrait être liquidé, même la maison provinciale d’Arthabaska qui fut le berceau de l’Institut en terre canadienne.


La plupart des districts de mission sont dotés d’une administration autonome et autochtone.

Sic transit gloria mundi ! (4) Et, signe de la très grande qualité de vie intérieure des membres restants, la dissolution s’accomplit dans la sérénité et dans la confiance que d’autres groupes surgiront portant haut le flambeau de la Bonne Nouvelle à des nations complètement renouvelées que certains qualifient aujourd’hui de « Barbares ».
+++++++++++++++++++++++++++

(1) Les Buissonnets: l'espace entre la chapelle et l'aile du Noviciat avait été baptisé ainsi en l'honneur de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus dont la spiritualité "la voie de l'enfance" était très populaire dans l'Église. Les jardins du Carmel où vécut sainte Thérèse de Lisieux s'appelaient "Les Buissonnets".

(2) À la nomination du Frère Gérald comme provincial, la province de Montréal  comptait 276 profès répartis en 29 établissements; 1 novice (le Noviciat fut fermé cette année là afin d'ajouter un an à la formation scolaire des juvénistes) 122 juvénistes. Neuf ans plus tard, à la fin du mandat du frère Gérald en 1966, la province ne comptait plus que 18 établissements d'enseignement, 189 profès, 6 novices, 142 juvénistes. Cf. Statistiques Prov. de Montréal.

(3) La province du Canada compte 21 frères âgés de 90 à 99 ans; 89 entre 80  et 89 ans; 67 frères entre 70 et 79 ans; 50, entre 60 et 69 ans; 12, entre 50 et 59; 9 entre 40 et 49; 2 entre 30 et 39. Cf. (Statistiques fournies par Jean-Claude.)

(4) Pendant la cérémonie d'intronisation d'un nouveau pape on arrêtait le cortège à trois reprises et on faisait brûler devant la "sedia gestatoria" une mèche d'étoupe (fibre de lin) en disant :"Sic transit gloria mundi"- ainsi passe la gloire du monde.
++++++++++++++++++++++

La chronique à Jean-Claude

ANNUAIRE 1962-1963

N° 57

On suit les travaux du Concile Vatican II : le mot renouveau devient à la mode.


Étant donné ce qui se passe dans le domaine de l’éducation au Québec, les frères sont sur le qui-vive. Une Enquête royale sur l’éducation est en cours.


On constate des initiatives nouvelles : l’inauguration et la bénédiction de l’École de Métiers de Victoriaville le 23 mai 1963, projet qui avait été amorcé en octobre 1961.


Il y a changement de politique entre les commissions scolaires et les frères en ce qui concerne les résidences qui autrefois étaient pourvues par les commissions scolaires et attenantes à l’école.


Il y a eu neuf fermetures de maisons.


Il y a de l’inquiétude dans l’air. Dans une province communautaire, on établit une comparaison; à sa fondation en 1945, la moyenne d’âge était de 31 ans; en 1963, elle est de 41 ans.

Et le chroniqueur note que les vocations sont ébranlées : l’attrait de la femme et les bons salaires.

Statistiques des sept provinces canadiennes :


- 1514 profès


- 105 novices


- 1272 juvénistes




*****************************
















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire