samedi 20 mars 2010

14- Faire ses bagages pour la vie -

Une année au Scolasticat


Note aux lecteurs et appel à tous

Samedi le 27 mars, le feuilleton no 15 portera exclusivement sur le Mont-Sacré-Cœur, principal centre de formation des Frères du Sacré-Cœur et lieu des événements rapportés dans les feuilletons précédents.

Ce feuilleton comporte en références plusieurs photos et quelques documents de son histoire que nous avons enregistrés dans un autre blog connexe appelé BIBLIO.

On a accès à ces documents en cliquant sur les liens correspondants qui apparaissent en couleur dans le texte principal des Mémoires.

Afin de permettre une lecture plus facile de ces références, nous les avons regroupées en quatre sujets qui apparaissent dans la colonne de gauche du blog Mémoires d’une vie volume II. ils apparaissent également dans la colonne de droite du blogue BIBLIO. En langage blogue c’est ce qu’on appelle les libellés.

Les quatre libellés sont :

MONT pour les photos et documents relatifs au Mont-Sacré-Cœur;

BIOGRAPHIE pour toutes les biographies incluses ou à inclure dans BIBLIO

JUVÉNAT pour les feuilletons de 2 à 9 qui ont été publiés sur le Juvénat

NOVICIAT pour les feuilletons de 10 à 15 qui portent sur le noviciat et le scolasticat.

En cliquant sur l’un ou l’autre de ces libellés, vous aurez accès, par ordre de publication, à toutes les publications faites sous ce libellé.

APPEL A TOUS

La formation des religieuses et des religieux qui ont vécu au Québec pendant le XXe siècle fait partie de notre patrimoine. Nous connaissons peu ou mal cette époque et la vie qui l’animait. Toute photo, anecdote ou tout document qui nous permettrait de l’illustrer et de la mieux comprendre trouvera sa place dans le blogue BIBLIO.

Il en est de même des photos et des écrits qui portent sur l’histoire et la vie du Mont-Sacré-Cœur, principal centre de formation des Frères du Sacré-Cœur au Québec.

Il vous suffit d’envoyer ces documents par courriel ou par la poste à l’adresse suivante : Florian Jutras – 1575 De Poitiers – Terrebonne – J6X 4P3 Tél, 450 492-3230 // flojut@videotron.ca

Vos commentaires sont appréciés. Il nous plaira de donner suite à toute question ou suggestion que vous nous formulerez.

La vie, c'est comme une bicyclette;
il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre.
[Albert Einstein - Vie]

C’est tranquille au Scolasticat en cette matinée de fin juin 1947. Je suis assis devant une machine à écrire, au réfectoire. À droite du piano, je tape. Je tape mon plan de vie.

C’est une coutume établie. À la fin du temps de formation, il convient de rédiger son plan de vie comme le soldat qui part en guerre couche sur papier son testament. Une garantie sur la vie future, une protection contre les dangers que comporte la vie religieuse dans le monde, en dehors de l’enceinte sacrée du Mont.

C’est donc vrai, en septembre, à l’âge de 17 ans, je serai responsable d’une classe. Où ? Je le saurai à la lecture des obédiences dans la salle académique, devant toute la communauté, par le nouveau provincial, le frère Gaétan. En effet, à l’automne précédent, le chapitre général réuni à Paradis a joué à la chaise musicale. Notre provincial, frère Josaphat, y était élu Vicaire général. Il fut remplacé ici par son confrère d’enfance, le frère Gaétan.

En arrivant au Scolasticat, le 28 août j’apprenais que j’étais classé en Complémentaire II. Une dizaine de nouveaux profès sont dans la même situation. On saute carrément le cours de Complémentaire I. On se présentera aux examens du DIP à la fin de l’année scolaire en vue de l’obtention du brevet d’enseignement complémentaire. Et hop! En septembre dans les écoles!

Une combine du Directeur des études avant de mourir. En compilant les résultats de nos cours de vacances et en notant notre année de noviciat comme cours de religion, nous avions assez de crédits pour ‘sauter’ le Complémentaire I. J’en fus flatté. Mais ce fut de courte durée.
Au Scolasticat, les cours étaient si nouveaux et si intéressants que j’aurais bien aimé y passer une année de plus et même y passer trois ans comme on l’avait fait pour les groupes de 1938 à 1942. Alors, pour répondre aux exigences du Ministère de l’Éducation de l’Ontario, on devait obtenir un diplôme d’études supérieures pour obtenir le permis d’enseigner. Comme on voulait s’implanter davantage en Ontario, on y avait mis le paquet. Dans les années 38 à 43, les frères, dont le frère Camille, mon oncle, qui avaient obtenu leur baccalauréat es-arts après trois ans de scolasticat, recevaient une obédience pour l’une des maisons de l’Ontario. Cette urgence étant comblée, c’était maintenant aux demandes du Québec qu’il fallait répondre. Les exigences du Québec étaient moindres. Frère Albertus, directeur des études, avait rapidement trouvé des combines pour que des scolastiques obtiennent leur Brevet complémentaire après une seule année d’étude au Scolasticat.

Voilà pourquoi je dois taper si vite mon plan de vie.

Quelle merveilleuse année ! Tout a baigné dans l’huile. La ferveur, énergisée par huit jours de retraite et par la cérémonie des vœux en présence de la famille, s’est maintenue tant bien que mal. Le frère Cyprien, de nouveau mon maître et directeur spirituel, veillait à maintenir la flamme haute. D’autant plus qu’au Scolasticat, notre formation comprenait une dimension nouvelle. C'étaient les études et l’obtention des brevets d’enseignement qui étaient l’objet d’une grande attention.

Et de ce côté ce fut merveilleux aussi. Avec le frère Alban, nous avons découvert les fondements des lois de la nature en sciences physiques.

En anglais, guidés par le frère Laurent, nous avons flirté avec Évangéline de Longfellow. De plus, frère Laurent, qui ne comptait pas son temps, nous donnait dix minutes à chaque cours pour écrire un petit texte de notre cru en anglais. J’en écrivis même un à tous les jours. Il me les corrigeait assidûment. J’avais le sentiment de progresser dans l’apprentissage d’une langue qui m’avait fait suer des pommes (apple, a-pi-pi) en huitième année.

Les cours de français, combinés avec la pédagogie, se passaient en grande partie à des exercices d’écriture que le frère Marcel corrigeait consciencieusement. Les sujets étaient les thèses du programme de pédagogie que nous devions soutenir à l’examen du DIP en dissertation pédagogique. N’ayant aucune once de pédagogie, ni dans l’expérience, ni dans le coco, on devait élaborer sur la question controversée de l’utilité des devoirs à domicile comme moyen d’apprentissage ou déterminer comment le calcul mental pouvait former à l’esprit mathématique ou encore : Pour réussir dans l’enseignement, il faut un peu de savoir, une bonne dose de pédagogie et beaucoup de dévouement.

Des modèles nous étaient proposés. On les étudiait et l’on s’entraînait à les reproduire sous forme de dissertation.

De temps en temps, nous avions des débats organisés sur ces sujets. Un scolastique devait défendre une thèse et un autre s’y opposer.

Ces débats où l’on se battait sang et ongles pour faire valoir sa vérité produisirent un curieux effet sur ma vie de croyant. Le germe d’un doute coriace qui ne trouvera sa solution que plusieurs années plus tard. Où est la vérité ? Si je peux aussi bien défendre le pour que le contre, faire de l’un ou de l’autre ma conviction, comment prétendre à l’existence de vérités absolues ? Où se trouvait la vérité des diverses croyances religieuses que chacun défendait si âprement ? Question de la durée d’un éclair mais qui laissa en moi sa marque d’éternité.

Revenons à mon plan de vie. Pour ne rien manquer ou ne pas prendre le risque de tout manquer, j’ai foncé la tête baissée dans le projet. J’ai pris deux jours à le pondre et j’ai décidé de le taper à la machine, dans un cahier ligné. Pour ce faire, il faut détacher les feuilles, les replier avant de les introduire dans la machine, numéroter les pages et les placer dans le bon ordre dans le cahier. C’est plus compliqué. Ça en vaut la peine. Ce cahier comme guide ou rappel ou garantie devra me durer toute la vie!

Ce plan s’organise comme un plan d’édifice. Il y a le toit, la charpente et les revêtements.

Le toit c’est mon idéal de vie : glorifier la Beatissima Trinitas. Les murs sont mes conditions de vie : mes vœux, la vie de foi, la prière, la vie communautaire, l’enseignement et les temps libres. Ce sont les grands axes de la vie spirituelle qu’on m’a appris au Noviciat.

Les revêtements sont tous les trucs ou les artifices qui permettront de garder au chaud ma vie d’union à Dieu et de parer aux intempéries et aux infiltrations qui pourraient la compromettre.

On l’a vanté ce plan de vie comme un courtier vante ses polices d’assurances. C’est ainsi que je le vois. Et aussi comme un protocole. Prévoir de quelle façon on veut se comporter devant toute éventualité : devant les tiédeurs, les tentations contre la chair, les confrères agaçants, les supérieurs dominants, les vieux frères bougons.

Mon principe directeur, il est simple. Je l’ai pris dans les Règles. « Un frère devra se rendre capable de tout » et l’exemple qui concrétise le tout, c’est le barreau de chaise à réparer. Tout, vaste comme le monde, mais terre à terre dans le concret du quotidien, comme un barreau de chaise décollé.

Glorifier la Trinité par mon enseignement. Très beau dans les livres mais quand il faut faire répéter les tables d’addition et de multiplication à des enfants, une fois la table de trois apprise, la Trinité risque d’être loin.

Parlons-en de mon enseignement pratique. Une semaine, cinq longs jours dans une classe de quatrième année. Celle du frère Léonce de l’école St-Eugène.

Un frère Léonce qui mène sa classe au doigt et à l’œil, surtout à l’œil car quand il n’est plus dans la classe, ou qu’on ne le voit pas surveiller à travers le carreau vitré de la porte, c’est la pagaille. Toutes les finesses de la dissipation y explosent. Et moi je ne sais comment tenir les rênes de ces jeunes poulains fringants. Je ne puis les mâter. Et de temps en temps, le frère Alfred, responsable de l’enseignement pratique, se met le nez dans la porte. Je me sens condamné comme au jugement dernier.

Le frère Marcel nous a bien donné quelques trucs de pédagogie. Il nous a montré comment capter l’intérêt et l’attention des enfants dans l’explication du no 253 du catéchisme. Des papillotes qui font comprendre l’histoire des signes sensibles institués par Jésus-Christ mais… il n’y a pas de papillotes et pas de no 253 à expliquer cette semaine-là!

Et en mathématiques, pour les tables d’addition et de multiplication, il y a la nouveauté des cartes-éclair. Elles sont toutes affichées en haut du tableau, moitié côté réponse, moitié côté aveugle. Aujourd’hui, je soupçonne que le principe (pédagogique) qui soutient cette invention, c’est l’histoire des perceptions subliminales. Le prof tient un paquet de cartes dans sa main et doit présenter le côté aveugle devant la classe à la vitesse des images cinématographiques et à tour de rôle, les élèves doivent répondre correctement. Et ça marche, je l’ai vu faire. Mais moi, je n’arrive pas à tenir à la fois toutes les manettes de contrôle de cette opération. C’est pire que le maniement des guides et des baculs lorsqu’on déchargeait le foin à la grand-fourche. Je frise la panique. Le prof entre. Les élèves redeviennent des images saintes empesées au « cornstach » (fécules de maïs).

Et pendant cinq jours j’ai fait mille sottises pareilles. Les autres racontaient leurs exploits. Ils aimaient l’enseignement. Moi pas. Je me taisais. De profonds doutes sur mes qualités de frère enseignant, sur ma vocation, se plantaient en moi comme des écriteaux « À vendre » sur un terrain miné.

Mon plan de vie, une sécurité, un remède aussi. J’y écris : « Une deuxième obligation est de me faire aimer de mes élèves. » - « Ils ne doivent rien négliger, dit la Règle pour s’attirer l’estime, le respect et l’affection des enfants afin de les gagner à Jésus-Christ ».

Pour y parvenir, dans mon plan de vie j’écris : « Je serai patient avec mes élèves et je rayonnerai de joie devant eux. » Jésus a dit « Laissez venir à moi les petits enfants. » C’est réglé, je serai enseignant, Dieu m’aidera, c’est sa volonté. « Je mettrai en premier plan dans ma classe la vertu de douceur et la vertu de patience. »

Je continue à taper, un bémol se glisse entre ces lignes qui prétendent tout prévoir, tout édifier pour la gloire de la Beatissima!

Ma divagation me ramène à mon saut du début de l’année. Est-ce vraiment une bonne décision de nous avoir fait sauter une année? On serait si bien à continuer à étudier ! Le laboratoire de chimie, après celui de la physique, me fascine. Mais Dieu le veut ainsi, s’il faut y aller, tapons!

Justement dans le chapitre du vœu d’obéissance, je tape : « Le religieux obéissant est transporté au ciel dans les bras de son supérieur »
et je continue avec
« Il fut obéissant jusqu’à la mort de la croix. » « L’obéissance est aussi le moyen le plus efficace et le plus facile pour remplir la fin de ma vocation : glorifier la Trinité, écrivais-je à la suite.
Et l’argumentation : « La plus grande gloire que je puisse lui procurer est l’accomplissement de sa divine volonté, de plus, la soumission parfaite ne va pas sans l’oubli de soi si agréable à Dieu. »
Et la conviction : « serais-je donc assez orgueilleux pour refuser un moyen que j’ai promis d’observer et qui m’offre de si précieux avantages? Non !»
Et la résolution « Je veux combattre l’orgueil, principal ennemi de l’obéissance. L’orgueil qui fait critiquer et juger les ordres des supérieurs, l’orgueil qui enlève le divin dans notre obéissance et y met l’humain avec ses considérations et ses caprices. »

Avec cette naïve assurance, je continue à taper. Tapant, je divague encore. L’assurance…!

Tout est paisible ce matin. On vient à peine de se remettre du grand stress vécu au début du mois. Les 4,5 et 6 juin, on passait les redoutés examens du DIP. Ce fut pour moi très éprouvant.

D’abord une semaine d’intense fébrilité à tout revoir, la panique des derniers moments devant les trous béants de la mémoire et des idées, la course fébrile aux profs pour des explications supplémentaires, le crissement des tables et des chaises qu’on aligne dans la salle, la veille, pendant qu’on ne dort pas encore.

Le matin fatidique, le solennel des enveloppes qu’on décachette, les longues heures à écrire, sans note ni dictionnaire, sous le regard impassible de surveillants étrangers, dans la grande salle du Scolasticat, assis devant un pupitre étroit et sévère, sous un silence de plomb qui ne laissait passer que le froissement des feuilles que l’on tourne et la lenteur des pas qui glissent entre les rangées. La panique des cinq minutes de décompte annoncé, puis les heures d’angoisse sous les tenailles des sentiments d’échecs difficiles à desserrer.

Après ces trois jours de Vendredi saint, il y eut une semaine herculéenne à l’extérieur : travaux, promenades, sports, etc. Toute lecture étant interdite, il n’y avait pendant toute cette semaine que du physique … et des prières murmurées par des lèvres qui ont bien dormi. Petit à petit, le calme revint dans les artères avec les soirées libres à surveiller les engoulevents qui plongent avec des cris de victoire jusqu’aux horizons du soleil se couchant dans ses draps de firmament rose.

Ce matin, c’est très calme. Je continue à taper. Ce que je tape, ma garantie, ma police d’assurance-vie, mes protocoles c’est aussi un examen, l’examen de ce qu’on ma appris de la vie surnaturelle que je passe devant le sourire bonasse de l’Éternel. Le véritable examen, l’examen pratique de la vie commencera au début de septembre devant une classe de marmots débordants de vie.

Je tape : «Gloria Dei homo vivens » - Da robur fer auxilium.
C’est le point final de mon plan de vie et de ma vie au Mont-Sacré-Cœur.

Prochaine publication : # 15 Le Mont Sacré-Cœur

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire