samedi 25 septembre 2010

23- Une théologie à trois temps


« On ne pouvait que rechercher le ver dans cette pomme si parfaite, soupçonner que cette apparence de perfection peu ordinaire dissimulait la gravité et la profondeur du mal »

John Cheever Editeur : Joëlle Losfeld

Publication : 15/5/2008
Un ver dans la pomme


Ce matin du 20 octobre 1958, coiffés du chapeau romain et ayant revêtu la longue douillette noire qui nous allait jusqu’aux talons, sous un soleil aussi beau qu’on en fait à Rome en octobre, nous cheminions presqu’à la queue-leu-leu par les ruelles qui partaient de Campo dei Fiori pour nous rendre à Piazza Argentina d’où l’autobus devait nous conduire aux portes du Latran pour l’ouverture de l’Institut Jesus Magister. Pas d’autobus ce matin-là à la Piazza. À la place, des camions à ciel ouvert se succédaient pour prendre les passagers. Il y avait « sciopero » i. e. grève des transports ce qui faisait écrire à Lionel, alias Frère Jean-Pierre , « C’est donc debout dans un char romain …que nous franchîmes pour la première fois le chemin qui devait nous amener aux portes de la science.» (1)

Tout était beau. Trop beau pour être vrai. J’étais à Rome, la plus fascinante des villes à voir et à vivre, au cœur de son cœur tout vibrant d’impérissables souvenirs.

J’étais inscrit au Latran, la plus prestigieuse université catholique, pour y suivre pendant trois ans des cours de théologie auxquels je rêvais sans pourtant y croire.

J’étais entouré de frères tous imbus des mêmes ambitions de savoir et rayonnants d’une fraternité émaillée de joyeuse camaraderie.

Il faisait beau, tout était beau, je me considérais comme l’enfant choyé de la chance, le bébé gâté de la Providence.


Pourtant, pendant que tout brillait au dehors, en mon for intérieur sévissait une profonde noirceur. J’étais tenaillé par un doute persistant. Dieu existait-il et quel dieu ? La Révélation ? Une projection de l’esprit ? Rien de moins.

Une petite question de date et de lieu de naissance, et avec la même foi et les mêmes doutes j’aurais participé aux effusions de sang du haut de la pyramide du Soleil à Teotihuacan où l’on aurait pu me dire comme l’évêque Rémi à Clovis : « Courbe ta tête fier Sicambre, adore ce que tu as brulé et brûle ce que tu as adoré ».

Quelle est la durée du dieu éternel ? Laquelle des multiples images de Dieu le représente le mieux ? Le dieu d’aujourd’hui sera-t-il encore là demain ? Pourquoi lui sacrifier sa vie ? …

Je voguais à la dérive.

Et la vocation ? Les éternelles reprises que je devais faire à chaque récollection du mois n’étaient-elles pas le signe flagrant que je m’étais trompé de voie ? Je n’étais pas fait pour la sainteté ni pour le type de perfection axé sur le renoncement à tout ce qui me tentait. Certains sont daltoniens ou dépourvus quant au génie des mathématiques ou à celui de la musique. Vouloir en faire des mathématiciens ou des musiciens serait tenter le diable ou l’impossible. Peut-être en est-il de même du sens spirituel. Mal engagé dans la vie, était-il trop tard pour embrayer en marche arrière ?

Et la vie avait-elle un sens ? Jusqu’où s’étendait la relativité démontrée par Einstein ? Je ne voyais plus de vérité absolue sur laquelle ancrer ma quête de sens. Et suivait toute la kyrielle des bannières de la déception, des frustrations déjà accumulées en bonnes piles à l’aube de mes trente ans. Ces tiraillements internes me coupaient l’appétit de vivre. Souventes fois, j’ai souhaité en m’endormant me réveiller mort !!!

Je dépérissais, mais non par manque de nourriture. J’étais cet âne de Buridan (2) en train de mourir de faim entre deux tas de foin parce qu’aucune raison déterminante ne le poussait à choisir celui de gauche plutôt que celui de droite ou vice versa. Il y avait deux hommes en moi. Non pas l’un enclin vers le bien et l’autre vers le mal, mais l’un tiré par le passé, la tradition, l’enfance, la voie bien balisée et l’autre fasciné par l’avenir, l’inédit, l’aventure, la liberté, les sentiers de la découverte. L’un qui se répétait les formules de vérités apprises afin d’y croire, et l’autre qui s’acharnait à les démolir. Ainsi tiraillé j’en oubliais de grandir.

J’ai perçu Jesus Magister comme un tribunal qui trancherait le nœud gordien, qui indiquerait, sans possibilité de repli, la voie à suivre, qui démasquerait toutes les façades du vrai et du faux, qui départagerait le solide du farfelu, le roc du sable, et les lanternes chinoises des vrais rayons de lumière projetés par un vrai soleil.

La vérité, une vérité, se forgera-t-elle lentement au cours de ces multiples affrontements qui visaient, comme dans un jeu d’échecs, à pénétrer les lignes de protection de l’adversaire et à emprisonner son absolu, son roi, dans un échec et mat final ? Le résultat de ce match définira-t-il ma place bien à moi dans l’univers, dans le temps, dans la vie, dans ma vie ? C'était le défi de ces trois ans à Rome. Je l'espérais sans trop y croire.

Un jour, j’ai lu qu’un gourou avait accueilli un néophyte ardent, désireux de le servir inconditionnellement. Le lieu habité par le gourou était tout en désordre. Le jeune néophyte proposait d’y mettre bon ordre. Il demande: « Que dois-je faire ? Je suis prêt à tout ». Le gourou lui dit : « Tu vois la galerie là-bas ? Prends-y place, assieds-toi au moins dix minutes sur chacune de ces planches jusqu’à ce que tu aies trouvé TA place, la meilleure place, celle de ton meilleur confort».

Après une heure, une journée, une semaine, l’ardent néophyte, dont les énergies s’usaient à ne rien faire, revint vers le maître-gourou pour lui demander une tâche plus urgente et plus utile. À chaque fois il reçut la même réponse : « Retourne sur la galerie, quand tu auras trouvé TA place, tu le sauras vraiment et alors seulement tu pourras me servir efficacement».

Comme pour le jeune homme riche de l’Évangile, on ne sait ce qui arriva au bout d’une semaine ou d’un mois à cet ardent néophyte.

Cette parabole m’a fait comprendre l’importance avant tout d’être bien dans sa peau, de se trouver dans le monde une place confortable.

La théologie à l’Institut Jesus Magister, toute rutilante dans sa nouvelle formule avait aussi un ver qui rongeait dans le silence de ses nuits et de ses entre-lignes un fruit qui avait pris des siècles à mûrir.

Une partie d’échecs à finir allait se livrer en même temps dans mon for intérieur et dans l’enceinte sacrée de la vénérable Université Pontificale du Latran. Les BLANCS, représentant les vérités éternelles les mieux établies et les professions de foi les plus solennelles contre les NOIRS gonflés à bloc sous le vent de profondes remises en questions, dans une ruée vers l’or de la quête de sens, ce puissant ELDORADO des temps modernes. Du vrai senti contre les vérités toutes faites. J’essaierai de raconter les principales péripéties de ce match.

Premier pion – (blanc) - « Ave fratres! »

C’est par ces deux mots latins que nous accueillit, ce 20 octobre 1958 le frère Anselmo, directeur de l’Institut Jesus Magister et son principal promoteur. Réunis dans l’"Aula parva" (petite salle) de l’université, nous sommes près de soixante-quinze frères (3) enseignants appartenant à huit congrégations différentes et venus d’un peu partout dans le monde.
Ave fratres!

Ces deux mots, ainsi que tout le discours qui suivit prononcé en latin à la mode de Cicéron, me semblent résumer toute l’histoire de la création de Jesus Magister.

Je m’explique. Frère Anselmo était FRÈRE, frère des Écoles chrétiennes, la première communauté de religieux non clercs actifs, et consacrés à l’éducation de la jeunesse. Cette congrégation fondée à Reims en 1685(4) a créé une nouvelle façon de vivre la consécration à Dieu et l’a portée à des sommets prestigieux. On n’a qu’à compter les universités, les écoles de haut prestige créées par les FEC pour s’en convaincre. Plusieurs frères qui ont percé la carapace de l’anonymat appartiennent à cette congrégation. On pense ici au frère Clément Lockwell, romancier, et au frère Marie-Victorin, fondateur du jardin botanique de Montréal.(5)

Le revers de cette qualité qui mène aux sommets de l’excellence, c’est l’envie. L’envie du pauvre souvent pernicieuse comme la superbe du riche peut être nauséabonde. Dans le temps, tous les porteurs de soutane masculins, non clercs, les contemplatifs mis à part, faisaient partie d’une autre classe de religieux, située sur un barreau inférieur sur l’échelle de la hiérarchie catholique. De pauvres gueux ou des petits bourgeois dans une assemblée de nobles ecclésiastiques.

Une mère rêvait d’avoir un fils prêtre. Surtout les mères de la haute. Jamais je n’ai entendu parler d’une mère qui aurait rêvé d’avoir un fils frère.

Entre les frères et les prêtres s’était glissée une rivalité sournoise. On se maraudait les vocations. On se pavanait les exploits et les institutions. Sans que ce soit explicite, la fierté des frères (de certains frêres) c’était de montrer surtout devant les porteurs de ceinturons violets ou les revêtus de pourpre que les frères pouvaient faire aussi bien que les clercs. Une faculté de théologie montée par les frères, pour les frères, à Rome, au sein du Latran, c’était le nec plus ultra qui commandait qu’on habille son verbe en latin ce matin-là, à l’ouverture de Jesus Magister.

Tous ces étudiants, qu’ils fussent italiens, espagnols, vietnamiens, colombiens ou même anglophones, comprenaient mieux le français que le latin. Et frère Anselmo le parlait aussi très bien. Mais le latin avait de la classe. Un décorum de haute noblesse ecclésiastique et cléricale semblait l’exiger.

Comment avons-nous réagi à cet accueil ? D’abord avec de l’amusement. On se donnait de l’Ave frater par-ci, et de l’Ave fratres par-là, on se garrochait des phrases latines tirées des pages roses de notre dictionnaire qu’un professeur nous avait jadis fait apprendre par coeur ou des citations de Cicéron ou de Tite-Live qu’un rusé avait inséré dans les dictionnaires latin-français en vue d’aider les « pôvres » étudiants qui devaient passer leur bac. Des phrases comme : "Si vis pacem para bellum » (en traduction libre « Si tu veux la paix, pars en ballon ») ou "Do vestem pauperi" (en traduction libre « Donne une veste à peupére ») ou "Alea jacta est" ou "In vino veritas", etc. qu’on avait retenues de nos incursions dans les vignes de la culture latine.

Cet amusement me fit réaliser combien, par la magie de l’osmose, nous étions loin de cette hantise du pouvoir et des façades de prestige qui semblaient animer le frère Anselmo et plaire aux supérieurs majeurs des congrégations qui avaient consenti à la création de Jesus Magister.

Étendards d’un monde de prééminence et de juridiction déjà révolu ou en voie de disparition.

On s’est aussi rendu compte que le latin n’était pas si barbare que cela. Après deux ou trois cours en latin, notre oreille débusquait vite le français et faisait une traduction simultanée fort acceptable.

Après un certain temps cependant, on fit des pressions pour que le français domine. Ce ne fut pas un gros avantage. Il nous était plus facile de dégager les concepts émis dans un latin bien maîtrisé que dans un français modulé en cahin-caha. La plupart des professeurs avaient une meilleure pratique du latin que du français.

Donc le pion mis de l’avant par les BLANCS (tradition), est facilement contré par les Noirs (rebelles). Le ridicule tue parfois.

Le serment antimoderniste

Après le monologue du frère Anselmo, nous nous retrouvons dans l’Aula Magna (la grande salle) de l’Université du Latran où l’on a réuni les professeurs et les étudiants des quatre facultés de l’Université. Après les discours d’usage -tous en latin naturellement- de la part des sommités du gratin catholique, on fit la lecture en latin du serment antimoderniste qu’étudiants et professeurs des universités catholiques du monde entier devaient prêter au début de chaque année, depuis la publication de l’encyclique Pascendi Dominici Gregis par le pape Pie X, le 1er septembre 1907.

On n’avait pas vu venir le coup. Ce rite nous laisse songeurs et un peu abasourdis. Le modernisme ! On le respire à pleins poumons et sans aucune espèce de remords. Toute idée nouvelle était alors bienvenue et diffusée sans retenue. Pourquoi le serment antimoderniste ? Qu’est-ce que le modernisme ?

Le modernisme, on le définit comme le pendant culturel de la révolution industrielle qui, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, a transformé l’économie du monde occidental de même que son organisation politique et sociale. Ce n’était pas une doctrine ni une philosophie mais une tendance, une tournure d’esprit, une espèce de coup de cœur pour tout ce qui était nouveau, inédit, dans l’expression culturelle tant littéraire que musicale ou picturale.

En philosophie, au début du siècle, on se mit à lever le nez sur la scolastique et à accorder de l’attention aux représentations du monde qui relevaient de l’existence plutôt qu’à celles qui étaient fondées sur l’essence de toutes choses. L’instant, les accidents, le matériel, le temporel passaient avant l’éternel et le spirituel. Un tout autre monde, le monde moderne venait de naître en Occident de la révolution industrielle. On l’acclamait.

Ce penser nouveau, sans doctrine clairement définie, se diffusait dans toutes les classes de la société. Quelques clercs et théologiens s’en firent les promoteurs. Animés des meilleures intentions du monde ils voulaient, non pas embêter l’Église ni contester les dogmes, ni mettre en doute la Révélation. Ils voulaient rendre l’Église plus proche de ce monde nouveau qu’elle avait pour mission d’évangéliser, raffiner la compréhension de la Révélation en appliquant aux textes sacrés les règles éprouvées par l’exégèse des textes anciens, épurer la pratique de la foi chrétienne en dégageant le sens originel des sacrements, connecter les dogmes promulgués par l’Église aux sources de la Révélation, etc.

Pie X prit peur. Il chargea d’abord le ministère de la Sainte Inquisition romaine et universelle de noter les principales erreurs du modernisme qui furent exprimées en soixante-cinq propositions et condamnées par le Saint-Siège dans le décret Lamentabili, publié le 3 juillet 1907. Au mois de septembre de la même année, le Saint-Père publie l’encyclique PASCENDI DOMINICI GREGIS dans laquelle il dénonce vertement les « artisans d’erreurs » modernistes dont les opinions et les écrits sont d’autant plus « pernicieux » (l’expression est du Saint-Père) « qu’ils se cachent dans le sein même et au cœur de l’Église ».

Toute la structure de l’Église jusqu’à ses fondements les plus solidement ancrés dans la Tradition se sentit menacée par ces fourmis grappilleuses, avides de renouveau : l’inspiration de la Bible, l’origine humaine et divine de Jésus et des évangiles, les énoncés de la foi promulgués dans les dogmes, l’origine divine des sacrements, la suprématie de l’Église sur l’État, celle du spirituel sur le temporel, et que sais-je encore ?

Le paragraphe d’introduction de l’encyclique nous en dit long sur l’état de panique qui s’était emparé de l’Église à ce moment.

1. A la mission qui Nous a été confiée d'en haut de paître le troupeau du Seigneur, Jésus-Christ a assigné comme premier devoir de garder avec un soin jaloux le dépôt traditionnel de la foi, à l'encontre des profanes nouveautés de langage comme des contradictions de la fausse science. Nul âge, sans doute, où une telle vigilance ne fût nécessaire au peuple chrétien: car il n'a jamais manqué, suscités par l'ennemi du genre humain, d'hommes au langage pervers (1), diseurs de nouveautés et séducteurs (2), sujets de l'erreur et entraînant à l'erreur (3). Mais, il faut bien le reconnaître, le nombre s'est accru étrangement, en ces derniers temps, des ennemis de la Croix de Jésus-Christ qui, avec un art tout nouveau et souverainement perfide, s'efforcent d'annuler les vitales énergies de l'Église, et même, s'ils le pouvaient, de renverser de fond en comble le règne de Jésus-Christ. Nous taire n'est plus de mise, si Nous voulons ne point paraître infidèle au plus sacré de Nos devoirs, et que la bonté dont Nous avons usé jusqu'ici, dans un espoir d'amendement, ne soit taxée d'oubli de Notre charge. Pascendi # 1

Après avoir dénoncé les principales insinuations des modernistes et rappelé sur ces points les vérités de foi proclamées par l’Église, le Pape commande des mesures radicales visant à enrayer à sa racine l’erreur moderniste.

Parmi ces mesures, il commande par "motu proprio" à tout clerc se destinant à la prêtrise et à tous les étudiants et professeurs des universités catholiques de prêter chaque année le serment antimoderniste.

Il commande aux évêques de dénoncer à la curie romaine tout écrit qui évoque des idées modernistes ou témoigne des sympathies à leur égard. C’est ainsi qu’au Québec, Mgr Archambault, premier évêque de Joliette, condamna le docteur Albert Laurendeau (grand-père du journaliste André Laurendeau) pour avoir publié en 1911 sans imprimatur, sa synthèse évolutionniste (La vie – Considérations biologiques) qu’on a vue entachée de concepts évolutionnistes mis de l’avant par Darwin.

De plus, on mit à l’Index tous les écrits qui étaient soupçonnés de sympathies à l’endroit des concepts modernistes.

En ce qui regarde les études, il écrit : « Nous voulons et ordonnons que la philosophie scolastique soit mise à la base des sciences sacrées ». Au paragraphe suivant il ajoute : « Que le doctorat en théologie et en droit canonique ne soit plus conféré désormais à quiconque n'aura pas suivi le cours régulier de philosophie scolastique; conféré, qu'il soit tenu pour nul et de nulle valeur.

Et, rappelant Léon XIII, il proscrit tout ce qui porte la marque de la nouveauté:

« On ne peut approuver, dans les écrits des catholiques, un langage qui, s'inspirant d'un esprit de nouveauté condamnable, parait ridiculiser la piété des fidèles, et parle d'ordre nouveau de vie chrétienne, de nouvelles doctrines de l'Église, de nouveaux besoins de l'âme chrétienne, de nouvelle vocation sociale du clergé, de nouvelle humanité chrétienne, et d'autres choses du même genre. » (PG28). Qu'ils ne souffrent pas de ces choses-là dans les livres ni dans les cours des professeurs.

Personnalités modernistes

Parmi les quelques théologiens les plus célèbres qui ont eu maille à partir avec l’antimodernisme de l’inquisition on remarque :

Alfred Loisy, ptre. Il est incontestablement la principale tête d’affiche des thèses modernistes. Refusant de se rétracter il sera excommunié après la publication de Évangile et Église en 1907.

Albert Lagrange, (1855-1938) D’abord soupçonné de sympathies modernistes, il réussira à éviter la condamnation et sera le Directeur de l’École Biblique de Jérusalem célèbre pour ses études de la bible. Cette école publiera en 1956 la Sainte Bible de Jérusalem qu’on a traduite de l’hébreu et du grec et de l’araméen en y appliquant les plus rigoureuses règles de l’exégèse.

Henri de Lubac, jésuite. Il lui fut interdit d’écrire par son supérieur général. Il sera réhabilité par Jean XXIII qui le fait cardinal et père du concile Vatican II.

La foi des chrétiens d’alors, formée aux énoncés du concile de Trente, synthétisée dans les catéchismes diocésains fut-elle réellement menacée par les avancés des théologiens modernistes ? Le serment antimoderniste a-t-il réussi à mettre le couvercle sur les thèses modernistes ? En 2008, les thèses soutenues par Loisy sont-elles toujours condamnables ? Le pape Pie X a-t-il sauvé l’Église ?

Je n’ai pas en la matière la compétence requise pour répondre à ces questions.

Je dois cependant reconnaître qu’en 1958, à la sacro-catholique Université du Latran, le serment antimoderniste semblait être davantage une formalité, une espèce de vaccin « au cas où » qu’un bouclier contre de réelles flèches empoisonnées.

Je ne crois pas non plus avoir remarqué que l’enseignement d’un professeur fût altéré ou comprimé par quelque clause du serment antimoderniste ou de l’encyclique Pascendi. Je ne me souviens pas non plus avoir étudié cette encyclique ni qu’on en ait fait mention dans aucun des cours que j’ai suivis, aussi bien en Dogmatique qu’en Histoire de l’Église ou même en Écriture sainte.

On avait comme compris de part et d’autre qu’il valait mieux se taire que de risquer d’être poursuivi ou d’avoir à poursuivre.

L’obligation du serment antimoderniste imposée aux universités catholiques fut abolie par le pape Paul VI en 1967.

Pour moi, qui étais bourré de préjugés concernant la scolastique, le thomisme, les philosophies d’avant-garde et plutôt sympathique à tout ce qui était nouveau, je prononçai le serment du bout des lèvres, ce que beaucoup ont dû faire lorsque l’Inquisition allumait ses bûchers en Europe ou que la chasse aux sorcières occupait les sportifs américains.

Je retiens cependant que, à peine trois mois après le début des cours à Jesus Magister, le pape Jean XXIII annonçait la tenue d’un concile qui aurait pour tâche de rajeunir le visage de l’Église et de lui enlever les rides qu’elle avait accumulées au cours des siècles.

Des études assez avant-gardistes avaient commencé à circuler sans être dénoncées. Leurs auteurs furent les véritables pères du concile. Ils avaient pour noms Liégé, Congar, Chenu, Karl Rahner, Edward Schillebeeckx, Marc Oraison, Hans Kung, Henri De Lubac et combien d’autres.

Le modernisme fut une vague, une vague importante qui transforma profondément la culture occidentale au XXe siècle. Cette vague provoqua d’abord une opposition de l’Église à tout ce qui était nouveau. Cette opposition fut suivie d’intenses recherches de la part des théologiens qui firent du concile Vatican II la source du plus important renouvellement de l’Église qu’Elle ait connu, le point de départ d’un rajeunissement et d’un approfondissement sans précédent de la foi chrétienne. Vatican II sera l’éclosion d’une toute nouvelle Église, bien loin et à bien des égards bien en avance de tous les courants modernistes condamnés par Elle au début du siècle.

Sur mon échiquier, le serment antimoderniste fut un coup salé des traditionalistes (les BLANCS) mais la réplique des NOIRS (les rebelles) fut absolument fantastique. À l’Institut Jesus Magister, malgré un cadre absolument traditionnaliste, sans tambours ni trompettes il y eut des ferments de renouveau implantés dans l’esprit des étudiants et qui perçaient les murs de la sacro-sainte institution.

Dans le bain de cette effervescence ma foi chrétienne en fut pour un moment revigorée. Mes doutes chroniques firent silence. Les NOIRS bénéficiaient d’un léger avantage. Cependant la partie n’était pas gagnée. Il restait d’autres pions à jouer.
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1) Cf. Lionel …une vie p. 104

2) Âne de Buridan (hésitant, perplexe comme l’âne de Buridan). Comme quelqu’un qui est sollicité avec la même force de deux côtés à la fois et qui ne sait quel parti prendre.

3) Quelques statistiques ont été publiées dans La voix No 1959 sous la signature du frère Maximien sur les inscriptions des premiers étudiants. Clic JM

4) Les Frères des Écoles Chrétiennes ont été fondés à la fin du XVIIe siècle, bien avant toutes les autres congrégations de frères enseignants.

5) Les autres congrégations de frères enseignants ne seront fondées qu’au début du XIXe siècle, en 1821 pour les Frères du Sacré-Cœur.

6) Un document "motu proprio", s’applique surtout aux documents qui relèvent de l’initiative personnelle du pape sans impliquer le Sacré-Collège ni quelque autre autorité dans l’Église.

7) Après avoir été sermonné à plusieurs reprises pour ses écrits qui s’inspiraient de la critique littéraire, Alfred Loisy fut condamné et excommunié pour n’avoir pas voulu se rétracter après la publication de « L’Évangile et l’Église ». Alfred Loisy demeure le principal tenant et le symbole des thèses modernistes condamnées par l’Église. Pour plus de détails sur ses autres écrits et les circonstances de son excommunication cliquez ici.
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LES ÉPHÉMÉRIDES MAXIMIENNES 

Le frère Laurent Normandin S. C., alias Frère Maximien S. C. était du nombre des huit pionniers frères du Sacré-Cœur inscrits pour trois ou quatre années d’études en sciences religieuse à l’institut Jesus Magister de l’Université du Latran, à Rome, en 1958. Pendant ces années, frère Maximien a rédigé régulièrement son journal personnel. Comme il a fait la traversée de Montréal à Liverpool avec nous (frère Raymond et moi-même) sur l’Empress of Britain,
les bribes de ses éphémérides qu’il nous livre ici, complètent et précisent heureusement le récit de cette traversée que j'ai publié au feuilleton no 21 de mes mémoires.
Frère Normandin, toujours en service, est présentement agent de Pastorale à l’École Secondaire de Sherbrooke.
Cordial merci à Laurent, si chaleureusement connu sous le pseudonyme de Bo-Max, pour cette importante et généreuse contribution à la mémoire de ces temps qui nous ont faits.
Florian
(Pour avoir accès aux ÉPÉMÉRIDES...cliquez ici
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Prochaine parution : # 24 – L’intelligence de la foi


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