samedi 3 avril 2010

16- St-Victor - 1947-48 L'initiation à un dur métier

Comme dans toute initiation,
c'est dans le fait même de survivre qu'est le triomphe.
[Paul Auster] Extrait de La Chambre dérobée
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Saint-Victor, une des vieilles paroisses de l’Est de Montréal du quartier Tétreaultville. Son église est située à l’angle des rues Hector et Hochelaga, la résidence et l’école des frères s’élèvent juste de l'autre côté de la rue Hector.

En 1947, l'abbé Paquette détient cette cure depuis plus de vingt ans. Il est assisté d’un vicaire. Tout proche de l’église, rue Sherbrooke, la Canada Cement répand sa poussière grise sur toute la paroisse. Une malédiction !

Le fleuve coule tout proche, de l’autre côté de la voie ferrée. Une bénédiction ! Notre lieu de promenade en toute saison.

L’école St-Victor est contiguë à celle des filles dirigée par les Sœurs de Ste-Anne. Les Frères y enseignent depuis 1911. En 1947, leur salaire s'élève à environ 700$ par année. Leur logement, une bâtisse de deux étages, rattachée à l’école, est fourni chauffé et éclairé par la commission scolaire. Nous sommes sept frères sur la liste des obédiences de 1947.

Frère Anatole, le directeur, y arrive le même jour que moi. Il vient de l’École d’agriculture des Cèdres. On l’appelle Ti-Pape. Pourquoi? Je n’en sais absolument rien.

Frère Arcade, le sous-directeur, est le titulaire de la 8e & 9e. Il vient de l’école St-Bernardin, quartier St-Michel. Saint bonhomme, il n’en fume pas moins la pipe. Il m’a amené voir son ami, frère Robert, bossu, à l’école St-Bernardin à St-Michel. Par autobus et tramway. Une première.

Frère Roch, titulaire de 7e année et responsable de l’Amicale. Il compte déjà quatre ou cinq ans à St-Victor. Grand ami du curé Paquette, il lui tient compagnie sur la galerie pendant qu’on va aux vêpres. Il est aussi responsable des enfants de chœur avec frère Jean-Gaston.

Frère Réal est en charge de la 6e année. Originaire de St-Didace et fils de cultivateur, il est mon compagnon assidu de promenade sur le bord du fleuve. Il a la charge des Croisés.

Frère Octavius, titulaire de 5e et 6e années, est un très bon sportif. C’est lui qui organise les jeux avant la rentrée. Organiste, homme jovial au rire saccadé, encore profès temporaire. Il est à St-Victor depuis qu’il a quitté le Scolasticat.

Frère Jean-Gaston est en charge d’une 5e année. Profès temporaire, il en est à sa deuxième année d’enseignement. Homme autoritaire, il fait régner dans sa classe une discipline de fer. Il s’occupe aussi des enfants de chœur avec frère Roch.

Frère Florian- On m’a confié une 4e année. Je suis évidemment sans expérience. Frère directeur m'encadre de près.

Les classes de 1re, 2e et 3e années ont été confiées à des institutrices.

Quatre de ces sept frères mourront en communauté, les trois autres la quitteront avant de mourir. Taux de persévérance: 57%.

Premier tableau : Relâchement

J’arrive à l’école vers le milieu de l’après-midi. Dans la salle communautaire, un collet romain sur une chaise. Sur l’autre, un moine affalé. Il lit son journal la jambe droite passée sur le bras de la chaise, la soutane déboutonnée.

Le frère Directeur arrive vers 16h00. On ne sait trop quoi se dire. Les minutes ont des éternités à leur compte. Je m’offre à transporter les bagages. Ça dégèle un peu l’atmosphère. Rendez-vous à 17h00 pour la lecture spirituelle.

On attend. Il en manque deux. On attend. On se dit des riens qui percent un silence de gruyère. La prière. Mot de bienvenue du Directeur. Chacun est invité à parler de ses vacances. C’est court et vague. Ile La Motte pour la plupart. Frère Roch, en visite dans sa famille, Frère Arcade à St-Michel avec son ami Frère Robert.

Après souper, première promenade sur le bord du fleuve. L’eau, la grande nonchalance qui abolit les aspérités. Image de l’année, alternance de la langueur du temps et de l’aspérité des événements et du métier à apprendre.

Deuxième tableau : Un dur métier

La leçon de catéchisme

Parler de Dieu à trente enfants de dix ans dont les fourmis rongent les fesses et l’attention! On ne peut toujours pas les introduire dans l’enceinte de la Beatissima. Qu’ils sachent leur catéchisme, c’est ce qu’on (les parents, la direction de l’école, la paroisse) attend d’eux et de moi. Le vicaire vient à tous les quinze jours pour le vérifier. Alors, en rang pour la récitation comme à l’école St-Alexandre. Mais ils sont trente-cinq, non pas dix. On se tient tout croche. L’attention divague. Alors je gueule, je punis. Comme Yahvé avec son peuple revêche.

Vient la dictée. On est dissipé comme des petits diables. Je m’impatiente. Je gifle. La prochaine fois, dit le directeur, il faudra me les envoyer, j’ai une bonne « strap » qu’on appelle communément la « banane ». Pourquoi? Pas d'idée. Il était fréquent de l'utiliser, et le terme et la courroie.

Agripper une astuce pédagogique lorsque tu es en perte d’équilibre ! Même la Trinité n’y peut rien, du moins à court terme. Je récidive. Je perds les pédales, je claque. Frère Anatole me prend en charge. Son soutien est quotidien et réconfortant. À Noël, je m’accorde en pédagogie la note « passable ». C’est la patience de l’encadrement qui fait la force de la pédagogie des Frères et non Mgr Ross ce réputé maître de la pédagogie qu’on a à peine effleuré au Scolasticat.

Troisième tableau : Faire germer le ciment

Un jeudi matin de mai. Il fait froid. Toute l’école est en procession, les garçons et les filles, les frères et les sœurs. On chante les litanies. C’est le jeudi des Rogations. La procession monte la rue Hector jusqu'à Sherbrooke passe devant la Canada Cement et redescend sur George V.

Sancte Clememti! Aux sinistres incantations de ce bizarre défilé, tout le monde répond: Ora pro nobis! les hautes cheminées de la Canada Cement répondent en lançant, comme d'un encensoir, des bouffées d'une grise poussière qui étend sur les demeures et les gens son suaire de mort.

Sancte Victori, les enfants ne comprennent rien , Ora pro nobis! on n'a rien expliqué.
Sancte Hectori il suffit qu'ils suivent la procession Ora pro nobis!
En rangs croches. Peu importe. Sancta Anna, On fait la police! Ora pro nobis!

Sancte Leo! on aurait chanté Santa Klaus! l'ora pro nobis aurait suivi sans broncher et sans produire plus d’effet ni sur les trottoirs de la Canada Cement, ni dans la foi de ces jeunes robots fidèles.

Cette image me hante: des robots catholiques et des moulins à prière musulmans. Sancte Mahomete! Ora pro nobis! Rites agraires, semence jetée sur la rocaille d'un ciment urbain.

Je prends note de cette grotesque parade, défi au bon sens. Je n’ose en parler. Je ne suis que le p’tit nouveau dans la paroisse.

Et le lendemain, comme on me l’a demandé, je note les élèves qui sont porteurs de la médaille miraculeuse ou de son succédané, le scapulaire à trois étoffes de couleurs différentes, plus facile à laver. On s’exécute servilement, sans se rendre compte de la monstruosité de la démarche. Des rangées de prisonniers dans un camp de concentration. Des colporteurs de pacotille. Ah ! Si Jésus avait été là, il nous aurait certainement tous chassés hors de ce temple.

Et naïveté toute évangélique, je suis sur le balcon de la sortie de secours au troisième étage. Les enfants jouent dans la cour. On me rapporte que Gilles Blanchet s’est battu. Je le fais venir.

- Que se passe-t-il?
- C’est lui qui a commencé.
- Récitez votre Notre Père.
- Notre père… Donnez-nous aujourd’hui…. Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux… Ainsi soit-il.
- Allez-vous vous excuser? (On vouvoyait alors même nos élèves)
- Pas d’affaire, c’est lui qui m’a enfargé.
- Récitez votre Notre Père une autre fois.
-Notre Père… comme nous pardonnons à ceux …
- Répétez une autre fois encore.... et encore !
Après trois Notre Père, il cède.
- "Oui, fit-il en baissant la tête, j’vas y aller d’abord. "

Je le surveille de haut. Il s’exécute. Je suis content. Aujourd’hui, j’ai honte. Lui ne s’en rappelle probablement pas. Moi, si. J’en ai encore le goût amer. Ce n’est pas juste au Pérou que l’Église a joué de la lance ou qu’elle a tordu des bras au nom de Jésus-Christ !

Quatrième tableau : Des nouveautés

Avant la lecture spirituelle, le frère Directeur nous présente une nouveauté, dernier cri de l’heure : des plumes à l’encre qu’on n’a pas besoin de recharger. On les appelle les crayons à bille. Il y en a de plusieurs couleurs. Frère Directeur nous en a acheté un à chacun, à gros prix. On doit y faire attention. Un mois plus tard on les proscrit. Les crayons miracle tachent les doigts et, en dégoulinant, tachent les cahiers. Moi, je retiens 1947 comme l’année de l’invention des stylos à bille.

La même semaine, Monsieur le Vicaire, qui vient régulièrement faire le catéchisme en passant dans chaque classe, réunit cette fois-ci toutes les classes dans la salle de récréation. En avant de la scène, un mystérieux appareil. Sur un petit fil d’acier il a enregistré sa leçon de catéchisme. C’est une première. On connaissait bien les 72 tours mais que tout un chacun puisse enregistrer sa voix, la modifier et la diffuser à volonté, sans passer par aucun studio, quelle innovation ! Et c’est à Dieu que profitera cette innovation! Réjouissons-nous ! La voix de Dieu enregistrée et reproduite à volonté. C’est mieux qu’un moulin à prières !

Attention! Il faut faire silence. (les haut-parleurs de Dieu sont trop petits et de mauvaise qualité) Ça griche, ça grince, on n’entend presque rien. Pendant au moins une demi-heure. Heureusement que les professeurs sont là pour assurer la discipline. L’éducation chrétienne, c’est beaucoup de discipline…!

Cinquième tableau : Ile La Motte

Nous sommes près de deux cents frères répartis en quatre camps pour la période des vacances à l’Ile La Motte. On se baigne dans le lac Champlain, on le sillonne en chaloupe. Le matin, il y a cours dans des kiosques aménagés entre les camps.

Mon Brevet Supérieur ayant été complété grâce à des cours de fins de semaine, je commence des cours de latin avec frère Théodose. Dans l’après-midi il y a sieste ou promenade, étude, bain à 15h00, collation, sport, lecture spirituelle et souper. Aux repas du midi et du soir, frère Viateur, directeur du camp, qui souffre de la micromanie, nous harangue comme des enfants d’école que nous sommes devenus.

« Vous m’avez bien compris, en promenade, y en en a, là, qui vont pas mal loin, là. Vous m’avez compris, là, faut pas aller plus loin que la fourche à Jimmy. Vous m’avez compris? – « Oui. (cher) frère Directeurrrr » ... de répondre en chœur les deux cent frères.

La première année d’enseignement avait été pénible et décevante. Ces vacances à l’Ile La Motte me retapent la santé corporelle -et spirituelle surtout-, parsèment mon intelligence de nouveaux bourgeons. Et le soutien communautaire fait hausser mon espérance de vie dans la communauté.

Le 15 août, j’étais nommé à l’école Meilleur, un club-ferme de la province pour la formation des enseignants en difficultés. Ce sera là ma planche de salut.

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Prochaine publication: École Meilleur (1948-1950) Club-ferme des Frères du Sacré-Coeur

2 commentaires:

  1. Directeur du Collège Roussin, le frère Viateur s.c. J'avais comme frère-enseignant, le "bon frère Omer" en première année (1949-1950) et quelques autres années successives toujours sous la direction de Viateur au parler caractéristique du genre "la-la-Tremblay". Un fait: le Collège n'avait pas exactement les mêmes congés scolaires que des écoles environnantes. Afin d'éviter des absences sans excuse, Viateur passait dans chaque classe et battant l'air de sa main droite, crayon tricoté entre les doigts, nous scandait "la-la-'y-a'ra-class-démain. Tout le monde présent!" et tournait les talons, figure impassible. - - Les petits imitateurs de mon âge étaient nombreux! // En un autre camp d'été des Frères, camp Dupuis, n'aurait-il pas dit, lors d'une réunion dans la salle du foyer "il y a quelqu'un qui marche là-haut; allez donc voir ce qui ne marche pas..."? Et encore de ce bon vicaire de Dieu... de ne pas marcher jusqu'à la chute de la rivière Lafontaine "parce qu'il y a des femmes habillées en déhabillés"? (Ainsi, tous les célibataires également informés, qu'advint-il?)
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    Bravo! toujours Florian pour l'état de ta "ROM".

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