samedi 10 avril 2010

17- L'École Meilleur (1948-50)

Je suis entrée dans le monde du vin
sans autre formation professionnelle
qu'une gourmandise certaine des bonnes bouteilles.
Colette

Le club-ferme des Frères du Sacré-Coeur

L'École Jean-Baptiste-Meilleur est située dans l’un des quartiers les plus populaires de Montréal, dans ce qu’on appelait alors le « Parc à m’lasse », à cause, m’a-t-on dit, de l’odeur de mélasse qui se dégageait des usines de fabrication de cigarettes MacDonald situées à l'intérieur de ce périmètre.

Le quartier incluait aussi le stade de baseball Delorimier des Royaux de Montréal (dont les propriétaires avaient été les premiers dans toute l’histoire du baseball à embaucher un joueur de race noire, Jackie Robinson, qui connut par la suite une fulgurante carrière professionnelle aux États-Unis.)

Les frères ont la charge de cette école depuis 1900. En 1906, plus de 700 élèves la fréquentent déjà. Seize frères y enseignent.

Aux obédiences d’août 1948 nous sommes trente frères nommés à l’école Meilleur avec le frère Euloge comme directeur. Les trente frères logent dans une résidence ad hoc, situé en face de l'école, propriété de la communauté. À ce personnel s’ajoutent trois frères employés à la Procure et le frère Goupil, directeur de la revue « L’Éclair » qui vient d’être fondée par les frères du Sacré-Cœur pour les jeunes de leurs écoles de dix à quinze ans.

Il y a au-delà de mille élèves inscrits à l’école. Ils sont répartis entre les sept degrés du cours élémentaire et les
huitième et neuvième années du cours secondaire.

Je serai le titulaire de la quatrième année D. Les autres classes du même niveau seront à la charge de mes confrères de Noviciat, les frères Albert, Luc et Liguori.

Le frère Alexis, nommé adjoint au directeur, sera immédiatement responsable des classes de la 1re à la 5e année. Quelques institutrices enseignent aux élèves des classes de première, deuxième et troisième années. Les frères Jean-Pierre et Henri enseignent au niveau deuxième année.

Après soixante-deux ans, de cette communauté de trente-quatre frères, on compte quatorze frères décédés, six qui sont toujours en communauté et quatorze qui sont retournés à la vie séculière, soit un taux de persévérance 58,8%.

L’école Meilleur, un club-ferme de formation des maîtres

Il est rare de rencontrer un frère de la province communautaire de Montréal qui n’ait pas enseigné un an ou deux à l’école Meilleur. Cette école qui mobilisait le plus grand nombre de frères était aussi considérée dans la province communautaire comme un excellent centre de formation des jeunes frères. C’est là que j’y ai vraiment appris mon métier d’enseignant.

La recette de l’école Meilleur tenait en trois ingrédients : l’assistant, les confrères qui enseignaient au même degré et la
communauté .

L’Assistant

Frère Alexis était un homme pratico-pratique. Pas de grandes théories pédagogiques à nous endormir ou à nous bourrer de complexes. C’était un coach plus qu’un lettré de la pédagogie. Il passait régulièrement devant notre classe. Il prenait note des absents, assurait un suivi des cas spéciaux (enfants dérangeants ou négligents) et coupait aux indisciplinés toute tendance à la récidive. On se sentait soutenus par le frère Alexis.

De plus, il découpait à chaque semaine le programme de la matière à enseigner dans les classes de même niveau. Il préparait des tests et des examens qui mesuraient l’efficacité de l’enseignement et qui suscitaient une saine émulation entre les élèves et entre leurs maîtres. Bref, il a été pour mes confrères et pour moi un guide clairvoyant et avisé, un motivateur qui, au-delà des enthousiasmes passagers, à fait jaillir en chacun les deux sources du succès : l’organisation qui donne confiance en soi et le plaisir qui soutient tous les efforts.

Les confrères

Noous étions quatre du même groupe de profession à devoir enseigner en quatrième année. Quatre copains qui se connaissent depuis le Juvénat et qui n’ont de l’enseignement qu’une très faible ou très courte expérience. On était faits pour s’entendre. Chez nous, l’entraide se conjuguait très bien avec l’émulation.

Les examens de chaque mois, uniformes pour toutes les quatrièmes, nous stimulaient sans créer trop d’animosité. On fonçait presque tête baissée devant tout projet d
’animation parascolaire des enfants qui nous étaient confiés : tournoi de ballon chasseur, de drapeau, équipes de hockey sur une patinoire divisée en quatre dans le sens de la longueur, préparation de petits jeux de scènes lors des nombreuses célébrations à l’école, etc... Même pour vingt minutes de jeu, il valait la peine de chausser les patins et d’organiser des matchs qui prenaient l’importance des séries éliminatoires.

Toute initiative était soutenue et encouragée par les confrères. Ensemble nous étions fiers de nos jeunes, de leurs résultats et nous étions prêts à tout faire pour leur donner le goût de l’école et la fierté du travail bien fait. La contagion du plaisir
générait des énergies insoupçonnées qui contribuèrent grandement à notre apprentissage du merveilleux métier d’éducateur. Ce dynamisme multiplié par quatre fut conquérant tant pour les élèves que pour leur maître en situation d’apprentissage.

Une communauté dynamique

Quel est le sujet de conversation des parents qui se rencontrent? Leurs enfants, évidemment. Et des frères éducateurs célibataires qui vivent à trente, côte à côte dans le quotidien de leurs repas, et de leurs loisirs et de leur tâche commune? De leur classe et de leurs élèves naturellement.

Dans cette communauté, qu’on pourrait qualifier de bigarrée,
on comptait trente-quatre frères de tous les âges, de toutes les expériences et de toutes les manies. Chacun avait son bureau dans la grande salle communautaire qui servait à la fois de salle de récréation, de salle d’étude et de lecture spirituelle.

Une panoplie de trucs pédagogiques indescriptibles trouvait sa place dans cette enceinte et une osmose positive, source d’une ambiance féconde génératrice d’attitudes, y régnait.


Dans le silence des temps d’étude ou dans le feu roulant de la récréation, chacun s’attelle à sa tâche. Qui corrige des copies, qui écrit sa préparation pour la classe du lendemain, qui relève à la gélatine des copies d’examen, etc… Et, ce faisant, on se raconte ses exploits, on décrit ses méthodes, on se taquine copieusement. Un supermarché de la pédagogie qui offre à tout venant ses chefs-d’œuvre les plus authentiques.

L’éducation, c’est un dur métier, mais c’est aussi un art. C’est à côtoyer des artistes qu’on apprend le métier.

C’est sous l’image de la fourmilière que je revois ces temps de vie communautaire.

J’y revois le frère Joseph-Octave, prof de huitième année, la tête en laine d’acier, occupé à coudre une balle-molle qu’il tient entre ses genoux. Son originalité proverbiale abolit les barrières; de sa nonchalance apparente surgissent des dynamismes insoupçonnés.

Derrière le rideau de la scène, il y avait toujours le frère Urcize. Il anime le théâtre de variétés de l’école. Gilles Latulippe y a testé ses premiers gags.

Frère Marc-Antoine a mis en valeur l’extraordinaire talent du batteur Guy Nadon. Il était à ses côtés lorsqu’à 12 ans il a perdu sa mère.

L’image du frère Jean-Pierre est associée à la famille des Caron. Ils étaient quatre à l’école, mal attriqués et souffre-douleur de tous. Un jour de mai, ils sont tous arrivés à l’école la tête rasée. Ils faisaient pitié. La mère avait voulu économiser sur les frais de coiffeur. Frère Jean-Pierre, par une attention spéciale, les prit sous sa protection, les sauvant ainsi de blessants quolibets. Cet âge, on le sait, est sans pitié.

Le frère Georges-Émile m'apparaît toujours digne et solennel avec ses enfants de chœur aux surplis empesés, stylés comme des marionnettes.

Des lignées de passants de t
ous âges s’arrêtaient sur les deux trottoirs pour voir passer le corps de clairons dirigé par les frères Jean-Édouard et Louis-Marcel, en soutane naturellement… C’était merveille de voir ces petits bouts d’homme frapper avec une détermination toute militaire ces gros tambours qu’ils avaient peine à porter.

De 12h30 à 13h00, quatre matchs de hockey en même temps pour les petits de 3e et 4e sur la patinoire qui occupait presque toute la cour d’école, ça demandait une organisation du tonnerre. Et le scénario reprenait pou
r les plus grands à 16h00 et même après le souper. Le carnaval d'hiver occupait aussi toute la glace et toute la place pendant toute une fin de semaine.

J’étais l’aide des frères Marc
-Henri et Léomer en charge des sports. L’équipement à ranger, le calendrier des joutes à vérifier, les professeurs à avertir, tout coordonner pour que les prunelles de ces petits gars s’allument aux lumières de Maurice Richard. Du boulot mais aussi que de plaisirs et quelle satisfaction !
En récompense nous avons pu, nous trois, munis des permissions requises, aller voir au Forum un match du club Junior. Insigne privilège !

Le frère Vital traversait régulièrement la rue après le souper pour aller soigner les écureuils qu’il gardait dans sa classe. On soupçonnait une couverture pour aller fumer la cigarette non permise à cette époque.

Dans la salle commune, tout en s’amusant à baragouiner le créole appris au Scolasticat, frère Jean-Norbert, muni d’une boîte de crayons Prismacolor produisait des chefs-d’œuvre de raffinement.

‘Piquer une jase’ avec le pétillant frère Anastase qui prenait un vif plaisir à titiller les jeunes frères et à les faire monter sur leurs grands chevaux était un sport qui égayait beaucoup de moments libres.

Le frère Cléophas, économe, un peu courbé, probablement le doyen du groupe, était toujours silencieux et souriant, le saint Joseph pourvoyant aux besoins et aux caprices de tous et de chacun.

Et notre général, frère Euloge célèbre par sa coiffure en crête de coq, dirigeait ce bataillon avec une aisance et un entrain qui coupait toute envie de rouspéter ou de chialer.

Je pense aussi avec un sourire de complicité aux groupes de deux ou trois frères qui, l’air innocent, sortaient du sous-sol de la salle paroissiale de l’église où l’on projetait, le vendredi soir, pour les enfants, les petits et les grands, des films en 16mm de Fernandel, Laurel & Hardy, Abbot & Costello ou de Walt Disney. Il fallait être à la résidence avant 20h30 pour la lecture spirituelle suivie de la prière du soir et du coucher. On faisait semblant de revenir de l’école ou d’une promenade. Le supérieur n’était probablement pas dupe de nos stratagèmes mais personne ne lui en ayant parlé, « il ne le savait pas ». Un mal que l’on ignore ne fait pas mal !

Et cette année-là, le samedi matin des mois de mai et de juin, on pouvait voir une quinzaine de frères en soutane, monter dans la boîte du camion conduit par le frère Albani pour nous rendre jusqu’à Saint-Théodore de Chertsey
[i] travailler à la construction des cinq camps d’une trentaine de chambres chacun qui recevraient les frères aux études pendant les vacances.

Quelques souvenirs révélateurs

Frère Henri, un artiste, mon ami et confrère de profession et professeur de deuxième année à l’École Meilleur.

Nous cheminons sur les trottoirs de la rue Sherbrooke, vers l’Ouest. Notre destination : le musée des Beaux-Arts. Ce samedi, c’est l’opération portes ouvertes, donc, l’entrée est gratuite pour les pauvres de sous ou de vœu. Il y avait un bout de temps que nous voulions y aller. Ma connaissance des peintres était alors très élémentaire. Dali m’avait surpris avec sa croix en plongée, Michel-Ange, une référence commune, rien de plus, Raphaël nous était un peu plus familier à cause des images saintes ou des cartes de Noël. C’est le musée qui nous attirait, pas encore les peintres. Le groupe des sept, le refus global et les impressionnistes n’existaient pas encore pour moi.

Nous marchons allègrement depuis environ trois quarts d’heure. De la rue Fullum au Musée, il y a plus qu’une heure de marche.

Nous marchons parce que notre supérieur, un peu surpris par notre demande, (on avait alors une peur morbide de tout ce qui pouvait avoir l’air mondain ou friser l’index ou frôler la nudité; le musée des Beaux-Arts était suspect) apaisa sa conscience en coupant la poire en deux. Il nous donna à chacun un seul ticket de transport. Nous avons choisi de marcher à l’aller nous accordant le confort de l’autobus pour le retour.

Devant ce demi-refus, nous avons souri. Le meilleur antidote à la récrimination et au chialage. Qui exposait ce jour-là au musée ? Je ne m’en souviens plus. Seul l’événement fut enregistré.

Dire qu’au Noviciat, on nous prévenait d’un certain laisser-aller des frères dans les maisons devant les engagements du vœu de pauvreté ! Les tickets d’autobus se vendaient alors quatre pour 0,25$ ! La même condition nous fut appliquée pour la visite du Jardin Botanique distant lui aussi d’environ une heure de marche de l’école.

Se faire crier « corneille »

Vous voyez le décor, trente-quatre moines tout de noir habillés qui, tous les matins à la même heure, traversent la r
ue en biais vers l’église pour assister à la messe quotidienne. Tous les matins, ce troupeau est coupé en deux par une camionnette (pick-up), occupée, dans sa boîte arrière, par quatre jeunes ouvriers. L’un d’eux, toujours le même, dès que la camionnette a croisé la rue Rouyn juste avant de séparer notre mer noire en deux, comme Moïse la Mer Rouge, se lève et avec effronterie crie de toute la force de ses poumons des Kow! kaww! kawwww! répétés, croassements de corneille qui comme des pics acérés nous pénètrent partout sous la peau et atteignent nos nerfs les plus sensibles.

Y a-t-il au monde pire insulte? Il faut avoir été moine pour la mesurer dans toute son ignominie. Tous alors, humiliés comme des condamnés, baissent la tête et entrent en silence et au plus vite dans l’église protectrice des affligés. Je ne crois pas que beaucoup aient alors prié pour leur agresseur ou qu’on ait récité avec beaucoup de salive le « pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Et quand chaque matin il y a récidive éhontée, c’est assez pour implorer les foudres du ciel de nous faire justice.

Personne n’ose rien faire ni rien dire. On souffre en silence. Que des p’tits gars cachés derrière une clôture imitent timidement les croassements de la corneille à no9tre passage, on sourit et on comprend. Mais en pleine rue, à tue-tête et de façon préméditée et répétée, ça dépasse notre seuil de tolérance et surtout cela met en évidence notre totale impuissance.

Un bon matin, plus de camionnette, plus de cris. Soulagement. Que s’est-il passé?

C’est le plus petit d’entre nous, le frère Goupil, qui, ayant noté le numéro de la plaque du véhicule, est remonté jusqu’à son propriétaire, l’a fait venir au parloir et lui a fait promettre (sous quelle menace?, je ne saurais le dire) de ne plus répéter ces concerts de mauvais goût. Et le problème fut réglé à tout jamais.

Vaut-il mieux souffrir l’ignominie en silence tout en fulgurant des éclairs de vengeance ou s’y opposer avec la force de ses convictions pour « le bien de ses frères » ? Qu’aurait fait Jésus? To be or not to be ! Frère Goupil ne s’est pas posé de question, il a agi.

Ne passez pas sur votre gazon

Naturellement, nous fêtions le curé de la paroisse comme il se devait à chaque année. Il y avait devant l’église St-Eusèbe un tout petit coin non cimenté où poussait un vert gazon protégé par une large affiche « Ne passez pas sur VOTRE gazon » Le curé était fier de son gazon et de sa pancarte, il nous l’avait dit. J’y avais pris l’idée d’une saynète en hommage à M. le curé à l’occasion de sa fête. Sept ou huit de mes élèves en furent les acteurs et les figurants. Ce fut un succès surtout à cause de l’originalité du sujet et de son traitement.

Quelques jours plus tard, voulant laisser un souvenir à ces jeunes acteurs, je demandai au frère A. de nous photographier en costume sur les lieux réels de la scène. Par je ne sais quel hasard, M. le curé nous vit nous attrouper sur SON gazon. Il sortit vite de son presbytère et de son tempérament, nous vitupérant pour ce manque de savoir-vivre. Il n’y eut pas de photo. Pour éviter un esclandre devant ces jeunes enfants, je dus me présenter au presbytère pour expliquer la situation. Monsieur le curé n’avait pas fait le lien entre la saynète d’hommages et la pancarte plantée sur son cher gazon.

Les frères et les sœurs au cinéma

Le cinéma était alors mal vu par les autorités ecclésiastiques et religieuses. Les cinémas étaient donc tacitement interdits à tout ce qui portait soutane.

En 1947, Maurice Veloche avait porté à l’écran l’histoire de saint Vincent d
e Paul sous le titre de Monsieur Vincent incarné par Pierre Fresnay.

En plein milieu de la semaine, on nous annonce qu’il y a le lendemain, un jeudi, je crois, congé dans toutes les écoles de l’île de Montréal. La raison de ce congé inopiné? Probablement à la suggestion du frère Marie-Cyrille des Frères des Écoles chrétiennes, qui était secrétaire de la réunion des supérieurs provinciaux des frères enseignants, l’Archevêque de Montréal, Mgr Charbonneau avait décrété ce congé pour permettre à tous les frères et à toutes les sœurs d'assister à la représentation de « Monsieur Vincent », non pas dans les salles paroissiales en 16 mm, mais dans de vrais cinémas munis de fauteuils et en projection de 36 mm.

Ce fut une surprise, un émerveillement, un éblouissement. Je crois même que pour sauver les convenances du temps, les cinémas étaient nommément assignés à chaque communauté. En tout cas, il ne semble pas que les frères aient fréquenté les mêmes cinémas que les soeurs. Après tout, on vivait alors sous le régime d’écoles séparées comme les places à l’église, les garçons d’un côté et les filles de l’autre. Les frères d’un bord et les sœurs de l’autre… Et « swingnez » votre compagnie. Quel temps!

La religion et la politique

Deux événements

L’école Meilleur était dotée d’une grande salle et d’un théâtre. Cette salle était sou
vent louée en fin de semaine par toutes sortes de groupements qui réunissaient un grand nombre de membres. Ainsi, « la patente » l’Ordre Jacques-Cartier y tenait-elle ses réunions deux à trois fois par année. L’Ordre mobilisait alors toute l’école, toute la fin de semaine. Des placards bouchaient même toutes les fenêtres du premier plancher. C’était un « top secret » absolu.

On tenait aussi dans notre grande salle des assemblées politiques. J’ai vu de mes yeux vu, le candidat M. Fauteux en pleine assemblée contradictoire prier les partisans de s’agenouiller pour réciter deux dizaines de chapelet afin, avait-il dit, d’attirer les bénédictions du ciel sur les élections et aussi sur les futurs gouvernants. Certains l’ont aussi soupçonné de vouloir ainsi se purifier d’une réputation pas trop honorable qui le qualifiait de « chrétien à quatre roues »
[ii]. La cause de Dieu et celle de la politique à cette époque se donnaient souvent la main.

L’autre événement qui illustrait le climat de turbulence qui commençait à agiter la très sereine et très catholique province de Québec fut la grève d’Asbestos. Le parti pris de l’Église en faveur des ouvriers, le rappel de Mgr Charbonneau et l’arrivée du Prince Léger, soutien de l’Église, avaient fait les manchettes et suscitaient même en communauté, des débats passionnés. Nous les jeunes, on écoutait les plus âgés blâmer ou bénir les gestes de l’Archevêque et ou ceux de M. Duplessis.

Ce fut la première fois que je pris conscience de l’intérêt de certains frères pour les questions politiques. C’était une bonne dizaine d’années avant le frère Untel.

Mes deux années à l’école Meilleur me furent profitables à bien des égards. Le dynamisme de la communauté faisait œuvre de salut au sein de cette population de paysans encore peu habitués à la vie urbaine. Ce dynamisme qui émanait de la communauté lui était rendu. On était fiers de notre école et on proclamait avec fierté ses hauts faits. Ma vie religieuse, quoique bien en deçà de mes rêves, suivait les sentiers de ma vie professionnelle. J’étais prêt à voler de mes propres ailes.

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i] La province de St-Hyacinthe s’était scindée en la province de Granby qui gardait l’île La Motte comme centre d’études de vacances, et la province de Montréal qui avait à cette même fin acheté à St-Théodore de Chertsey un lac surnommé la « tub à Stan » en l’honneur du frère Stanislas directeur des études. C’est à bâtir ce camp que nous nous employions les samedis des mois de mai et juin: au camp central il fallait ajouter un réfectoire et une chapelle pour deux cents places environ, et cinq camps divisés en chambrettes (un gros avantage sur les camps à aire ouverte de l’île La Motte) munies d'électricité et d'eau courante et les sanitaires rattachés à chaque camp.


[ii]Les chrétiens à quatre roues, c’étaient ceux qui n’allaient à l’église que quatre fois dans leur vie : pour le baptême, pour la confirmation, pour le mariage et pour les funérailles.

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Prochaine publication: 18- Saint-Gabriel-de-Brandon - 1950 La lune de Noël


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