samedi 11 décembre 2010

34 - On change d'Église à Saint-Jérôme


Notre ministère est un ministère de libération, de guérison, de consolation.
« Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
guérir ceux qui ont le cœur brisé,
amener aux prisonniers la délivrance et aux captifs la liberté ».
Homélie de Mgr Pierrre Morrissette – Messe chrismale 2010

Au début de décembre 1964, je suis convoqué au bureau de Mgr Émilien Frenette, évêque de Saint-Jérôme. Il rencontre individuellement tous les membres du personnel qui travaillent à l’Évêché.

Mgr Frenette revient de Rome. Il a participé intensément à la troisième session du concile qui a promulgué la constitution dogmatique « de Ecclesia (Lumen gentium) ». Pendant cette session Mgr Frenette a aussi porté une grande attention à l’étude des schémas sur le « Le Ministère et la vie des prêtres » sur « La Charge pastorale des Évêques » de même que sur la vie religieuse « Perfectae caritatis » et sur l’Apostolat des Laïcs ». Ces schémas seront promulgués sous la forme de décrets à la clôture de la quatrième session, le 7 décembre 1965.

Monseigneur me parle du concile avec beaucoup d’enthousiasme. Il me fait voir les merveilleuses perspectives que le concile pour la foi chrétienne et la vie en église.

Mais selon lui, surtout, avant les déclarations et les décrets, Vatican II propose un nouveau regard sur Dieu, une ouverture au monde dynamisé par les forces vives de la résurrection, une attitude d’accueil dans la grande famille humaine et chrétienne. Le concile, c’est un esprit nouveau qui commande un nouveau regard sur le monde et sur soi. Il ne sert à rien de changer les comportements si l’esprit n’y est pas. Notre tâche c’est de préparer le terrain à l’accueil de cette nouvelle Bonne Nouvelle.

Et moi je veux lui parler de mes bibittes. Je me sens en situation de non-lieu. Cela fait plus d’un an que je m’esquinte à organiser des rencontres de profs de catéchèse au niveau secondaire. Dans cette tâche, je fais figure d’un mendiant soumis à tous les aléas de l’organisation scolaire sans avoir aucun pouvoir sur elle. L’enseignement religieux, me semble-t-il, relève d’abord de la responsabilité de l’évêque. Il devrait pouvoir « commander » des journées d’études et des stages de formation pour les catéchètes, les rattacher au diocèse comme le sont les aumôniers qui oeuvrent dans les écoles… Il m’écoute attentivement mais je sens qu’il cultive déjà des plantes fort différentes de celles que je voudrais voir pousser dans son jardin. À ses yeux, l’argument d’autorité est le plus faible de tous.

Cette rencontre avec Mgr Frenette m’a fait comprendre que tout porteur de la Bonne Nouvelle à ce monde devait au préalable épouser les traits de ce monde, vivre ses faiblesses, vibrer à ses attentes, apprendre et respecter son langage.


À moi et à nous de l’Office catéchétique de trouver au sein de cette nouvelle pâte les meilleures levures et les complicités les plus aptes à opérer cette préparation à la venue du Messie. Enfermé dans une coquille d’autorité, ce ferment risque de se dessécher. Le terrain privilégié de sa fécondité c’est la terre des hommes et non le soleil des dieux. Jésus l’a dit : « Bienheureux les pauvres… » Le concile le proclame. Il revient aux ouvriers de répandre la semence en toute terre. Les vieux mécanismes, les anciennes visées, sont difficiles à transformer. Il leur faut mourir. Là encore on ne peut mettre du vin nouveau dans de vieilles outres. Un moderne, Marshall McLuan, nous le dit aussi sous une autre forme, « le médium c’est le message » Il nous faut « renaître d’eau et d’Esprit » (Jn 3, 4) Apprendre à proclamer le message avec le médium approprié. Je le savais, mais je ne l’avais pas vécu assez profondément pour que ça devienne en moi une seconde nature.

Nous formions une belle équipe à l’Office catéchétique. L’abbé Jacques Fortier,(1) son directeur, s’occupait avec sœur Pauline de l’initiation aux nouveaux manuels de la série Viens vers le Père. Cette initiation, qui comprenait une formation continue des professeurs, impliquait aussi la collaboration des parents. Tout le diocèse a semblé un moment mobilisé par cette catéchèse aux tout-petits.

Nous, Jean-Paul (2) et moi, devions nous occuper du secondaire. Plus tard, sœur Hélène prit la charge du secondaire I et II, côté féminin. Puis vint s’ajouter Marc Rompré O. P. qui s’occupait de la catéchèse aux jeunes handicapés. L’entente était parfaite, la dynamique ardente. Pour circuler allègrement sur cette nouvelle terre de mission appelée la Modernité, il ne nous manquait qu’une certaine familiarité avec son langage et un bon rodage qui nous rompe à ses us et coutumes.

Au primaire, la série « Viens vers le Père » (3)

Les deux premiers manuels de la série « Viens vers le Père » qui couvrait tout l’élémentaire étaient déjà publiés et mis en application chez les petits de première et deuxième années. Ces manuels avaient été préparés par l’Office catéchétique provincial créé par l’épiscopat québécois sous la responsabilité de Mgr Coderre, évêque de St-Jean.

Quelle audace de la part des auteurs de ces manuels ! Mettre au rancart le p’tit catéchisme, qui depuis un temps immémorial servait à apprendre des vérités éternelles sur un Dieu abstrait et tout-puissant, pour le remplacer par un guide d’initiation à la rencontre d’un Dieu Père qui semble avoir troqué son éternité pour une promenade dans nos jardins. Au lieu d’enseigner les ‘devoirs du chrétien’, « Viens vers le Père » initie à la découverte d’un Père aux bras pleins de cadeaux pour ses enfants. Ce manuel transforme les rites séculaires d’initiation (baptême, eucharistie …) en célébrations de la présence de Dieu au sein des fêtes humaines. On est passé de l’enseignement à l’expérience, vers une catéchèse globale.

Sous la dynamique impulsion de sœur Pauline (Beaudin) s. s. a et de l’abbé Fortier, ces manuels avaient déjà été introduits chez les tout-petits de tout le diocèse. Ils opéraient des merveilles. Assortis d’un rituel transformé, ils suscitaient de significatives expériences de vie chrétienne sous un éclairage théologique complètement renouvelé. Les effets de leur passage étaient tangibles : les enfants célébraient, les professeurs cheminaient et les parents voyaient.

Ces dix ans de catéchèse à l’élémentaire eurent un impact profond sur le renouvellement de la foi dans le diocèse et dans toute la province.

Au niveau secondaire
Composer avec une réalité nouvelle

Le terrain d’accueil au secondaire était un peu différent. Il n’y avait pas de tradition. Tout était à faire : l’organisation scolaire selon les horaires des autobus scolaires, la gestion du personnel, l’initiation à cette pédagogie et à ces programmes nouveaux proposés par le rapport Parent. Nous étions au cœur d’une modernité, au premier stade de son implantation sur le sol québécois. 

Malgré la bonne volonté tant des directeurs et directrices d’école que des professeurs et des agents de pastorale, il nous fallait composer avec les contraintes de ce milieu et trouver de nouveaux modes d’accès et de présence de l’Église à l’école. Nous devions peut-être avant tout, être conquis par ce milieu, comprendre et respecter sa dynamique propre. Nous comprenions assez bien le message à révéler mais étions sans expérience ni compétence pour manier le nouveau médium qui devait le véhiculer.

S’initier au maniement des véhicules porteurs de foi

De plus, les manuels de catéchèse au secondaire n’étaient pas prêts. « Regards neufs sur un monde nouveau » était sur la chaîne de montage. « Homme et femme il les créa » était encore en gestation. Les rédacteurs de ces manuels comptaient sur notre collaboration. La catéchèse destinée aux adolescents du secondaire était centrée sur l’identité personnelle. Assumer son corps, sa sexualité, la société comme milieu de vie et lieu d’engagement. Nous avions beaucoup à apprendre quant aux perspectives propres à cette nouvelle catéchèse.

Dans la tradition qui remontait au concile de Trente, l’identité humaine avait été comme gommée par le titre de Fils de Dieu, unique code d’accès et d’interprétation de tout le curriculum de vie. Ce titre n’avait guère d’impact dans la vie de tous les jours et apportait peu d’aide à l’adolescent en croissance. Il fallait bien asseoir tout le développement de l’adolescent sur ses bases naturelles et humaines. Les récentes vagues du personnalisme chrétien jointes aux visées de la pastorale de l’incarnation le requéraient. C’est ce que firent sous la direction de l’abbé Jean-Guy Myre les principaux rédacteurs des manuels du secondaire. Ils étaient compétents dans les divers domaines connexes à l’univers des jeunes : psychologie, sociologie, ouverture aux sciences et aux techniques et langage de la Modernité. La série Regards neufs comprenait : Regards neufs sur un monde nouveau; Regards neufs sur la vie; Homme et femme il les créa (sexualité) et La force des rencontres.

Je me souviens qu’une fois, on nous avait demandé d’illustrer certains chapitres de Regards neufs par des exemples concrets tirés de la vie et du milieu des jeunes adolescents. J’avais produit deux ou trois courtes histoires. À la critique, on me fit remarquer que la petite leçon morale, «happy ending», qui terminait chacun de mes récits jurait avec l’esprit du programme. Le vieux serpent de l’arbre du bien et du mal montrait sa queue. L’atavisme moralisateur pointait ses cornes même au travers du costume à la mode de Vatican II.

Une autre fois, après la création de « Homme et femme il les créa » qui était surtout l’oeuvre d’Andrée Quiviger, j’avais été appelé à donner une conférence sur la sexualité à des paroissiens de l’Église Ste-Gertrude dans le cadre des retraites du carême. Grâce aux discussions que j’avais eues avec un de mes amis de cette paroisse, je savais que je touchais là un sujet tabou. Le manuel « Homme et femme il les créa » dédié aux élèves de secondaire IV me fournissait un excellent cadre de présentation. Tout alla très bien. Les questions quelque peu timorées manifestaient une bonne ouverture à l’esprit nouveau. Je n’avais qu’à renchérir. Après la conférence, deux femmes dans la trentaine, lesbiennes, viennent me voir. Elles me demandent si mon bel exposé sur une sexualité ouverte s’appliquait à leur cas. « Peut-on vivre notre sexualité sans avoir, suspendue au-dessus de nos têtes, l’épée de Damoclès du péché ? » Je ne sus que répondre. Quelques généralités qui ne leur furent certainement d’aucune aide. L’esprit du concile était relativement facile à comprendre et à annoncer. Mais quand il s’agissait de l’incarner, c’était autre chose.

Nos objectifs en tant que responsables de la catéchèse au secondaire étaient relativement simples. Il s’agissait de diffuser l’esprit qui animait la catéchèse au secondaire, de le bien faire comprendre et d’apporter un soutien aux professeurs qui devaient le transmettre à leurs élèves.

Mais là, il y avait une difficulté de taille. Qui étaient les professeurs chargés de l’enseignement religieux ? À plusieurs d’entre eux, jeunes professeurs sans spécialité définie, on avait plaqué en complément de tâche deux ou trois heures-semaine d’enseignement catéchétique. Quelques-uns seulement avaient suivi des cours d’été en catéchèse. L’un d’entre eux avait fait un an ou deux en sciences religieuses. Cependant, la plus grande difficulté était de réunir les catéchètes. On se butait souvent à la complexité des horaires, à des contraintes de tâches, à des directives venues des syndicats, et quoi encore. Organiser seulement un cinq à sept sur semaine ou en fin de semaine en dehors du temps de classe était un tour de force et la participation loin d’être assurée, était fort variable. On ne pouvait songer à rien de durable.

Nous fîmes, Jean-Paul et moi, par petits groupes, plusieurs rencontres de catéchètes. Nous avons rencontré ici et là des professeurs qui ont accepté de participer à la commission diocésaine de l’éducation de la foi (4) et d’être dans leur école respective un soutien pédagogique aux professeurs chargés de l’implantation de ces nouveaux programmes. C’était beaucoup plus ardu qu’au primaire, moins reluisant et aussi plus fragile. Il fallait beaucoup de foi pour ne pas désespérer de la moisson.

Une concertation interdiocésaine

La nouvelle catéchèse se répandit partout dans la province de Québec et même dans tout le Canada. Son implantation était la responsabilité de l’Office catéchétique nouvellement mis sur pied dans presque tous les diocèses du Québec et du Canada. Il s’est aussi établi des réseaux de communication et de concertation entre les différents offices catéchétiques. À Saint-Jérôme, nous avions des atomes crochus principalement avec les offices des diocèses de Mont-Laurier et d’Amos, et aussi avec celui de Joliette.

On se rencontrait à plusieurs reprises chaque année. Deux fois au moins l’Office du diocèse d’Amos nous accueillit pour une longue fin de semaine de partage et de ressourcement. Nous avons été invités à diverses reprises à participer à titre de conférenciers ou de professeurs à des sessions d’étude de la nouvelle catéchèse à Edmonton, à Moncton, aux universités de Laval à Québec et de l’UQTR à Trois-Rivières.

On a tenu aussi au séminaire de Sainte-Thérèse de longues sessions d’été destinées surtout à la formation de catéchètes à tous les niveaux.

Bref, une nouvelle vision de la foi se répandait partout. Des cellules vivantes et agissantes pluralistes et polyvalentes surgissaient en dehors ou avec la collaboration des structures d’Église établies.

Quel fut l’impact de ces huit ans d’efforts ? Heureusement qu’on n’en savait rien. Il y aurait eu de quoi décourager les apôtres les plus chevronnés. Ce merveilleux mouvement de renouvellement s’essouffla rapidement.

En 1971, l’Office catéchétique fut rattaché à la Commission diocésaine d’éducation de la foi. L’abbé Fortier prit la charge d’une cure à St-Eustache, Sœur Pauline rattachée à la commission diocésaine continua un certain temps à apporter soutien et lumière aux professeurs des écoles élémentaires du diocèse. Jean-Paul Binet fut engagé comme conseiller pédagogique à la polyvalente Deux-Montagnes-Blainville. Moi je pris une charge de cours en sciences religieuses au Collège Marie-Victorin qui opérait alors comme Scolasticat École Normale des Frères Éducateurs de la région de Montréal. L’Office avait été pour nous un temps de pionniers, celui qui crée des engagements profonds, des collaborations sans frontières et des soutiens aussi vigoureux que chaleureux. Le temps était déjà venu de passer à une autre étape.

La catéchèse elle-même en milieu scolaire subira beaucoup de modifications dans ses manuels, dans ses programmes et dans la place qui lui sera faite dans une école de plus en plus pluraliste et laïque. En mai 2005, le projet de loi no 95 signera son abolition à l’école publique. L’éducation de la foi relèvera alors de la responsabilité des évêques, des pasteurs et des parents croyants. C’est le cours d’Éthique et de culture religieuse qui dans les écoles publiques et laïques gardera la mémoire de la longue et riche tradition de l’enseignement religieux catholique au milieu des nombreuses croyances qui ont émaillé l’histoire de l’humanité. L’ouverture au monde et à la Modernité ne va pas sans l’abandon de certains privilèges.

Les frères et les sœurs se parlent

Le scandale des faibles

Une petite anecdote. Cette fin d’après-midi de juillet 1966, deux maillots de bain pendent sur la corde à linge du côté du scolasticat de la Maison provinciale de Rosemère. Rien de bien singulier, sinon que mon maillot accompagne celui de sœur Pauline. C’était comme une affiche du mini scandale qui avait fait parler certains frères de la communauté de Rosemère et qui en gênait d’autres. Les faits : c’est très simple, le conseil de la Pastorale des religieux du diocèse de Saint-Jérôme, dont je faisais partie , était composé de trois frères et de trois sœurs du diocèse et animé par l’abbé Gagnon. Le conseil avait tenu sa réunion à Rosemère. Après avoir travaillé tout l’après-midi sur différents dossiers, avant le souper, j’avais offert à celles ou à ceux qui le désiraient d’utiliser la nouvelle grande piscine érigée par le frère Elphège et qu’on avait inaugurée au début de l’été. Sœur Pauline fut la seule à répondre à mon invitation. Je l’ai accompagnée. Pour moi et pour tous les membres de l’équipe, c’était tout naturel et il n’y avait là aucune matière à surprise ni à scandale.

Au sein du conseil de la Pastorale, nous avions plusieurs rencontres à notre crédit. Nous avions même tenu, à Nominingue (Mont-Laurier), en bordure du lac, un camp (mixte) de ressourcement qui dura deux ou trois jours. Ce camp réunissait les religieux et les religieuses des conseils de pastorale des diocèses de Mont-Laurier, de Saint-Jérôme, d’Amos et même, si mes souvenirs sont exacts, d’Ottawa ou de Hull.

L’ «étonnement » manifesté à la maison provinciale de Rosemère est révélateur du bon bout de chemin fait et par les religieux-religieuses et par les diocèses dans la voie de la concertation et dans celle d’une intense collaboration à la mission apostolique. À Saint-Jérôme, nous avons participé à la Grande Mission et depuis ce temps. nous siégions régulièrement au conseil de pastorale du diocèse comme membres de plein droit.(5)
Les trois messes basses (clic)

Je me souviens que lors de l’un de ces conseils tenu sous la présidence de Mgr Frenette, nous cherchions des moyens de sensibiliser les paroissiens à l’esprit du concile, surtout en ce qui concernait la pratique de la messe dominicale. Il nous semblait que beaucoup de fidèles accomplissaient ce rite machinalement de façon routinière comme l’un de leurs devoirs de chrétiens (obligatoire) sans en connaître le véritable sens.(6) En vue d’amorcer un virage significatif je suggérai, d’abolir officiellement l’obligation de la messe dominicale pour un dimanche désigné et d’inviter les fidèles à partager leur vie de foi et les façons de la vivre en Église. Je croyais en la vertu d’un temps d’arrêt tout en réalisant qu’une telle action était, pour diverses raisons, impossible à enclencher. On m’écouta attentivement et on discuta sérieusement de la proposition.

L’Église, Mgr Frenette en tête, était ouverte à l’importance d’opérer un renouveau significatif dans la foi et la religion des chrétiens du diocèse. Mais comment défaire les enfermements qui avaient des siècles d’enracinement ? Pour instaurer des œuvres d’éternité, il faut compter avec le temps.

Au moment de rédiger les présentes notes je reçois le dernier volume de Jacques Grand’Maison qui a été l’un des principaux moteurs de renouvellement de l’Église québécoise et surtout de celle de Saint-Jérôme. Dans cet essai intitulé Société laïque et christianisme il fait une analyse rétrospective des enjeux et de la vitalité de cette époque. Une Église autre en gestation, Une parole neuve, L’incontournable défi de la laïcité sont quelques-uns des titres qui coiffent ce rappel du tournant pris par l’Église et la société québécoise pendant cette période.

Jacques Grand’Maison dégage le sens des effervescences, des tâtonnements et des nombreuses tentatives de renouvellement qui ont bouillonné dans le diocèse principalement dans les années 60 à 70. Il constate aussi avec regrets l’implantation triomphante au Québec d’une laïcité qui se coupe de ses enracinements dans le patrimoine chrétien. Peut-on empêcher notre génération de se défaire se demande-t-il avec Camus ?

Optimiste toujours, il ajoute : « Derrière ce qui se défait il y a de nouvelles pousses qui surgissent. Qui sait s’il n’y a pas un monde autre qui commence à émerger. Fût-ce une nouvelle conscience des enjeux largement partagés et des tâches communes à entreprendre. … Je tire cette espérance de la Promesse de Dieu de ne jamais abandonner l’humanité. Dès les débuts de la Bible, cette promesse s’accompagne d’une responsabilité qui nous confie les uns aux autres par-delà les frontières de tous ordres, en coude-à-coude avec tous les « humains de bonne volonté », sans aucune exclusion. C’est là une des postures du christianisme qui peut être un apport précieux pour tous. Un apport parmi d’autres, bien sûr. Société laïque et christianisme p. 176

Je garde une mémoire vive et des souvenirs rafraîchissants de ce qui m’a été donné de vivre et de connaître pendant cette courte mais importante période de vie et d’actions sous la bannière de Vatican II.

Renouvellement spirituel

Ma vie spirituelle a subi aussi pendant cette période de profondes transformations. Je dois d’abord reconnaître que je n’avais pas le temps de me payer le luxe des doutes qui avaient alourdi une bonne partie de mes années de conscience.

Je continuais à accomplir fidèlement les exercices commandés par ma communauté mais ils ne me nourrissaient guère. C’est dans l’action que ma foi puisait son renouvellement et sa vitalité.

Mes discours sur le salut et la plénitude de vie apportés au monde et à tout homme de bonne volonté affinaient mon regard de foi. Ma charité, toute livresque, prenait sa force surtout dans les défis que la vie lui offrait.

Cependant, petit à petit, l’illumination du coup de foudre qui me faisait voir Jésus présent en tout s’estompa. Je n’avais plus besoin de voir ni de me sentir en présence de Dieu, je le savais être là en tout, vibrant de son amour conquérant. Le savoir suffisait à commander l’action. Engagé dans la milice du Seigneur, je lui faisais, comme entre parenthèses, une confiance absolue. Le rationnel du salut accompli prenait le pas sur ma relation vivante avec le Ressuscité.

J’en étais ainsi, imperceptiblement, revenu au point de départ, à l’avant-concile. J’arborais il est vrai l’oriflamme d’une nouvelle théologie, j’étiquetais mes engagements de belle façon mais c’était un savoir qui commandait mes engagements, une procédure apprise, non une vie ni un amour partagé. Un mariage de raison. Un robot savant mais débranché. La foi qui est vision et conscience d’une présence était devenue comme un va-de-soi, un concept appris et récité.

Je savais Jésus présent au cœur du cosmos ou au sein de tout rassemblement humain. Je connaissais la vision de Teilhard de Chardin,(7) la lente montée de la conscience vers la noogénèse mais souvent cela s’arrêtait là. Je n’allais pas voir l’arbre sacré qui dominait la forêt, je n’étais pas à l’écoute de la montée de la conscience vers l’Oméga divin. Je ne nouais pas de vraies relations avec le Jésus qui avait faim et soif en ceux qui se présentaient à ma porte. Je répétais ces données théologiques comme une leçon, sans trop me préoccuper de son impact dans la qualité de vie des gens que je rencontrais. L’âme et l’attitude d’un fonctionnaire de la foi.

La vie religieuse d’avant le concile primait sur l’action apostolique. L’enseignement apparaissait alors, du moins dans les priorités proposées, comme le fromage d’Oka pour les Trappistes, un gagne-pain, un passe-temps entre les heures de prière. J’avais inversé les pôles, L’engagement primait et mobilisait l’action mais une action de plus en plus détachée d’une foi qui aurait pu la nourrir et la guider.

C’est peut-être ce qui est arrivé à l’Église du Québec. Elle s’est lancée à bride abattue sur les voies de l’Incarnation et de la Modernité. Elle a de fait rafraîchi ses cadres, mais elle n’a pas su s’incarner vraiment au cœur de la vie des hommes de ce temps. Le message avait pris les couleurs de la Modernité mais il est resté sans racines. en marge des hommes en chair et en os à qui il s’adressait. Sa foi suivait une trajectoire parallèle à son action mais ne savait pas la nourrir.

Est-ce un constat d’échec ? J’y vois plutôt la confirmation de la distance qu’il y a entre l’Église du « déjà » et celle du « pas encore ». C’est un défi toujours à relever sans qu’aucune formule n’y parvienne jamais.

La pastorale des vocations n’a pas réussi à susciter au sein de la Modernité des vocations qui la fasse vivre, partager et espérer. Après six ans de nouvelle catéchèse, un sondage a révélé que ces nouveaux catéchisés étaient toujours dominés par la menace du péché, la peur de Dieu et de l’enfer et par une tenace désespérance devant son avenir personnel et celui du monde.
L’Église ancienne s’est parée à la moderne mais elle n’a pas vraiment atteint le cœur des masses. Peut-être faudra-il que cette Église renaisse, qu’elle retourne dans le sein « de sa terre-mère » pour renaître à nouveau, (Jn 3,1-12) pour faire lever cette pâte de son énergie, pour éclairer ses sillons de sa lumière. La foi sans espérance se brouille de cataractes, la charité sans foi ni espérance s’étiole. Ni la foi, ni l’espérance ni la charité ne croissent dans les livres. C’est dans la pâte humaine et souvent dans la mort qu’elles fleurissent.

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(1) Cf. l'Office catéchétique 1963-1969 par l'abbé Jacques Fortier Dir.

(2) Cf. Éléments d'histoire de l'Office catéchétique du diocèse de St-Jérôme (1964 - 11972) par Jean Paul Binet,

(3) La série « Viens vers le Père » qui a remplacé le catéchisme unique pour toutes les années du cours primaire, comprend six catéchèses différentes, une pour chaque année des deux cycles: 1re Année  : -Viens vers le Père – 2e : Célébrons ses merveilles - 3e : Rassemblés dans l’amour; 4e : Nous avons vu le Seigneur; 5e : Préparer la terre nouvelle; 6e : Selon ta promesse fais-moi vivre.

Cette série a été reconnue par plusieurs diocèses comme le produit le plus achevé du renouveau catéchétique. L’OPÉCO (Office Provincial de l’Éducation de la foi Catholique de l’Ontario) fait un bon rappel historique de l’évolution de l’enseignement religieux au Canada, du catéchisme catholique à la catéchèse renouvelée sous le souffle de Vatican II .

(4) L'enseignement religieux au secondaire, dans les écoles publiques n'allait pas de soi. Cf. Le rapport de la commission diocésaine sur l'enseignement religieux au secondaire en 1968.

(5) Antérieurement, cet organisme était réservé aux seuls clercs du diocèse. Les religieux et les religieuses d’un diocèse menaient leurs propres actions apostoliques définies par leurs règles et constitutions ou télécommandées par leurs supérieurs respectifs.

(6) La routine qu'on déplorait à propos de la messe ne date pas d'hier. Il est amusant d’écouter la description de la messe du dimanche faite par un humoriste à la manière de François Pérusse. Cette caricature illustre ce que le rituel de la messe était devenu avant le concile et peut-être en beaucoup de lieux et de temps de la chrétienté.   On relira aussi avec amusement la description des trois messes basses de minuit de Alphonse Daudet
 
(7) Dans les années 50, ce jésuite paléontologue, avait dans le Phénomène humain et le Milieu divin comme baptisé la thèse de l’évolution défendue par Darwin en la pénétrant de son regard de foi. Il voyait dans chacune des étapes de cette évolution une lente montée de la conscience vers son accomplissement final en l’Oméga divin révélé par Jésus. Teilhard savait cette montée unifiée dans le Christ parce qu’il la voyait grâce à la lunette de sa foi. Moi je trouvais cette vision emballante. Elle me nourrissait. Je me la récitais mais je n’arrivais pas à la voir.
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L'équipe de réalisation de MÉMOIRES À L'ULTRAVIOLET
est heureuse à l'occasion de Noël et du Nouvel An
de présenter
d'abord à ses collaborateurs immédiats
Bernard A. - Bernard D. - Jean-Claude E. - Eddy N. -Jacques D.
Laurent N.- Marcel R. - Jean T. - Jacques F. Jean-Paul B.
Maurice N -. Monique G.- Bernard D. - Jean-Guy B. 
 Léonard L.
et à tous ses lecteurs assidus
ses MEILLEURS VOEUX
d'une joie inaltérable
d'une paix durable
et d'un bonheur aux multiples lendemains.
 
Nous vous informons aussi qu'après avoir trimé dur tout l'automne
Nous prenons la pause jusqu'en février 2011
 
Nous vous reviendrons alors avec la finale du Volume II
L'ARCHE DES JEUNES et
la fin de mes 28 ans de vie religieuse.
 
 
 
 
           Lionel                                                                     Clément


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ANNUAIRE 1964-1965
N° 59


Les décisions du ministère de l’éducation tiennent toujours les frères aux aguets, de même que les réformes qui se succèdent. Cette année, c’est le «rapport de la commission d’enquête sur l’enseignement« qui fait objet de préoccupations.

Il y a partout l’apparition de classes mixtes qui demandent ajustement.

Au plan de l’Église, c’est la réforme liturgique qui surtout retient l’attention.

Le chapitre général de 1964 a apporté des changements très concrets : l’abandon du nom religieux, le tutoiement, l’élargissement des normes du côté des visites dans la famille. Enfin, plus en profondeur, se dessine un courant de mise à jour des Règles et des constitutions.

Il y a eu fermeture de trois maisons.

Une autre province communautaire met sur pied une colonie de vacances durant la période estivale.

Statistiques des sept provinces canadiennes :
- 1521 profès
- 80 novices
- 1273 juvénistes
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Prochain feuilleton no 35: L'Arche des Jeunes - Titre et date à déterminer






2 commentaires:

  1. Merci pour vos trois voeux (!) de joie, de paix et de bonheur. Je vous les souhaite pareillement. Quant à leur inaltérabilité, à leur durabilité (perpétualité) et à leurs multiples lendemains, on pourrait en reparler pendant au moins 66 autres chapitres...

    Merci pour les Mémoires, ce voyage intérieur dans notre monde et notre temps, à la fois si proches géographiquement et chronologiquement mais si lointain sociologiquement et spirituellement.

    J'espère avoir un peu de temps pendant ces deux mois de relâche pour en relire de grands pans, 'à la recherche du temps perdu' et d'éléments de réponses (qui m'auraient échappé dans une première lecture) à la question qui ne cesse de me turlupiner : Mais comment en sommes-nous venus, au Québec, à jeter le bébé sans même changer l'eau du bain?

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  2. Cher Jean

    D’abord un vif merci pour tes souhaits et aussi pour ta généreuse appréciation de mes scribouillages. J’en carburerai jusqu’au 100e feuilleton si Dieu me prête vie et les Muses inspiration.

    Oui, comme toi je trouve que les événements d’un passé récent (50 ans c’est peu) font partie d’une toute autre époque où on a de la difficulté à se reconnaître.

    Ta question me turlupine moi aussi : "Mais comment en sommes-nous venus, au Québec, à jeter le bébé sans même changer l'eau du bain?"

    Tout s’est passé si vite et les changements ont été si radicaux et tout était si bon! Je me défends difficilement contre une certaine nostalgie au risque de me figer en statue de sel comme la femme de Loth.
    Notre bébé chéri, notre sécurité, nos habitudes confortables de penser et d’agir, les fondements de nos valeurs, les ailes de nos espérances, il est vrai, ne reviendront plus.

    Mais a-t-on vraiment jeté le bébé aux orties? Malgré ses regrets d’avoir coupé nos racines, Jacques Grand’Maison voit partout des traces du passage de « notre bébé » dans les sillons du nouveau monde. À lire en particulier en épilogue le chapitre « Un second regard » à la page 176 et aux suivantes de son dernier bouquin, SOCIÉTÉ LAÏQUE ET CHRISTIANISME.

    Par le truc de la fusion d’images, technique que nos médias utilisent fréquemment, je vois le bébé se fondre en une semence, un grain de sénevé qui doit mourir mais qui produit déjà beaucoup de beaux fruits.

    Ne serait-ce pas plutôt le bébé qui aurait quitté nos eaux un peu trop polluées? Les enfants de la Révolution tranquille malgré leurs frasques, manifestent une attention remarquable pour ne pas dire un acharnement sans pareil à la promotion de l’humanité, aux secours portés aux défavorisés qu’ils soient haïtiens ou les enfants du Dr Julien…

    Sous la coupole d’une Église empêtrée dans ses dogmes et ses normes je ne crois pas qu’on aurait traité les homosexuels avec autant d’humanité, les réfugiés du BS avec autant de générosité et de tolérance. Sous la surveillance d’une « Belle-mère » aurait-on été aussi intransigeant dans l’opposition à la guerre, aussi acharné à réclamer la justice, aussi conscient de nos responsabilités devant l’avenir de notre planète et de nos enfants?

    Et à tous les jours, je vois se nouer de chaleureuses fraternités cosmopolites qui fleurissent en dehors des cadres de l’Église, dans le sport, dans le travail, dans les regroupements de bénévoles ou de mordus de la Culture avec un grand ou un moyen C. Bien des communautés « ecclésiales » s’alimentent en dehors des limites et des cadres de la paroisse.

    Et au fur et à mesure que je me cherche des arguments pour confirmer la justesse de mon regard tout neuf ou le focus de mes nouvelles lunettes j’ai le sentiment de répéter en écho ce qui a déjà été dit, de me brancher à des attitudes qui ont déjà été éprouvées. Je pense au « sperabamus » des disciples d’Emmaus, je crois aussi que l’humanité a tiré profit de la chute de l’Empire romain malgré les gaucheries des Barbares à former de nouvelles civilisations et malgré les pertes de toutes sortes que cette chute a entraînées. Si notre ceinture fléchée a perdu quelques mailles dans la mouvance, je crois que notre humanité (identité québécoise) gagne au passage si abrupte que nous avons dû faire.

    Et Jacques Grand’Maison fait aussi remarquer que sa foi s’étiolait dans une morale racornie ou dans des habitudes non visitées par les questionnements que nous avons connus.

    En nos temps, Noël c’est renaître. La renaissance a son prix, nous le savons et elle le vaut, nous l’espérons.

    Que notre joie soit donc parfaite!

    Au plaisir de te lire à nouveau.

    Florian

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