samedi 11 décembre 2010

34 - On change d'Église à Saint-Jérôme


Notre ministère est un ministère de libération, de guérison, de consolation.
« Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
guérir ceux qui ont le cœur brisé,
amener aux prisonniers la délivrance et aux captifs la liberté ».
Homélie de Mgr Pierrre Morrissette – Messe chrismale 2010

Au début de décembre 1964, je suis convoqué au bureau de Mgr Émilien Frenette, évêque de Saint-Jérôme. Il rencontre individuellement tous les membres du personnel qui travaillent à l’Évêché.

Mgr Frenette revient de Rome. Il a participé intensément à la troisième session du concile qui a promulgué la constitution dogmatique « de Ecclesia (Lumen gentium) ». Pendant cette session Mgr Frenette a aussi porté une grande attention à l’étude des schémas sur le « Le Ministère et la vie des prêtres » sur « La Charge pastorale des Évêques » de même que sur la vie religieuse « Perfectae caritatis » et sur l’Apostolat des Laïcs ». Ces schémas seront promulgués sous la forme de décrets à la clôture de la quatrième session, le 7 décembre 1965.

Monseigneur me parle du concile avec beaucoup d’enthousiasme. Il me fait voir les merveilleuses perspectives que le concile pour la foi chrétienne et la vie en église.

Mais selon lui, surtout, avant les déclarations et les décrets, Vatican II propose un nouveau regard sur Dieu, une ouverture au monde dynamisé par les forces vives de la résurrection, une attitude d’accueil dans la grande famille humaine et chrétienne. Le concile, c’est un esprit nouveau qui commande un nouveau regard sur le monde et sur soi. Il ne sert à rien de changer les comportements si l’esprit n’y est pas. Notre tâche c’est de préparer le terrain à l’accueil de cette nouvelle Bonne Nouvelle.

Et moi je veux lui parler de mes bibittes. Je me sens en situation de non-lieu. Cela fait plus d’un an que je m’esquinte à organiser des rencontres de profs de catéchèse au niveau secondaire. Dans cette tâche, je fais figure d’un mendiant soumis à tous les aléas de l’organisation scolaire sans avoir aucun pouvoir sur elle. L’enseignement religieux, me semble-t-il, relève d’abord de la responsabilité de l’évêque. Il devrait pouvoir « commander » des journées d’études et des stages de formation pour les catéchètes, les rattacher au diocèse comme le sont les aumôniers qui oeuvrent dans les écoles… Il m’écoute attentivement mais je sens qu’il cultive déjà des plantes fort différentes de celles que je voudrais voir pousser dans son jardin. À ses yeux, l’argument d’autorité est le plus faible de tous.

Cette rencontre avec Mgr Frenette m’a fait comprendre que tout porteur de la Bonne Nouvelle à ce monde devait au préalable épouser les traits de ce monde, vivre ses faiblesses, vibrer à ses attentes, apprendre et respecter son langage.


À moi et à nous de l’Office catéchétique de trouver au sein de cette nouvelle pâte les meilleures levures et les complicités les plus aptes à opérer cette préparation à la venue du Messie. Enfermé dans une coquille d’autorité, ce ferment risque de se dessécher. Le terrain privilégié de sa fécondité c’est la terre des hommes et non le soleil des dieux. Jésus l’a dit : « Bienheureux les pauvres… » Le concile le proclame. Il revient aux ouvriers de répandre la semence en toute terre. Les vieux mécanismes, les anciennes visées, sont difficiles à transformer. Il leur faut mourir. Là encore on ne peut mettre du vin nouveau dans de vieilles outres. Un moderne, Marshall McLuan, nous le dit aussi sous une autre forme, « le médium c’est le message » Il nous faut « renaître d’eau et d’Esprit » (Jn 3, 4) Apprendre à proclamer le message avec le médium approprié. Je le savais, mais je ne l’avais pas vécu assez profondément pour que ça devienne en moi une seconde nature.

Nous formions une belle équipe à l’Office catéchétique. L’abbé Jacques Fortier,(1) son directeur, s’occupait avec sœur Pauline de l’initiation aux nouveaux manuels de la série Viens vers le Père. Cette initiation, qui comprenait une formation continue des professeurs, impliquait aussi la collaboration des parents. Tout le diocèse a semblé un moment mobilisé par cette catéchèse aux tout-petits.

Nous, Jean-Paul (2) et moi, devions nous occuper du secondaire. Plus tard, sœur Hélène prit la charge du secondaire I et II, côté féminin. Puis vint s’ajouter Marc Rompré O. P. qui s’occupait de la catéchèse aux jeunes handicapés. L’entente était parfaite, la dynamique ardente. Pour circuler allègrement sur cette nouvelle terre de mission appelée la Modernité, il ne nous manquait qu’une certaine familiarité avec son langage et un bon rodage qui nous rompe à ses us et coutumes.

Au primaire, la série « Viens vers le Père » (3)

Les deux premiers manuels de la série « Viens vers le Père » qui couvrait tout l’élémentaire étaient déjà publiés et mis en application chez les petits de première et deuxième années. Ces manuels avaient été préparés par l’Office catéchétique provincial créé par l’épiscopat québécois sous la responsabilité de Mgr Coderre, évêque de St-Jean.

Quelle audace de la part des auteurs de ces manuels ! Mettre au rancart le p’tit catéchisme, qui depuis un temps immémorial servait à apprendre des vérités éternelles sur un Dieu abstrait et tout-puissant, pour le remplacer par un guide d’initiation à la rencontre d’un Dieu Père qui semble avoir troqué son éternité pour une promenade dans nos jardins. Au lieu d’enseigner les ‘devoirs du chrétien’, « Viens vers le Père » initie à la découverte d’un Père aux bras pleins de cadeaux pour ses enfants. Ce manuel transforme les rites séculaires d’initiation (baptême, eucharistie …) en célébrations de la présence de Dieu au sein des fêtes humaines. On est passé de l’enseignement à l’expérience, vers une catéchèse globale.

Sous la dynamique impulsion de sœur Pauline (Beaudin) s. s. a et de l’abbé Fortier, ces manuels avaient déjà été introduits chez les tout-petits de tout le diocèse. Ils opéraient des merveilles. Assortis d’un rituel transformé, ils suscitaient de significatives expériences de vie chrétienne sous un éclairage théologique complètement renouvelé. Les effets de leur passage étaient tangibles : les enfants célébraient, les professeurs cheminaient et les parents voyaient.

Ces dix ans de catéchèse à l’élémentaire eurent un impact profond sur le renouvellement de la foi dans le diocèse et dans toute la province.

Au niveau secondaire
Composer avec une réalité nouvelle

Le terrain d’accueil au secondaire était un peu différent. Il n’y avait pas de tradition. Tout était à faire : l’organisation scolaire selon les horaires des autobus scolaires, la gestion du personnel, l’initiation à cette pédagogie et à ces programmes nouveaux proposés par le rapport Parent. Nous étions au cœur d’une modernité, au premier stade de son implantation sur le sol québécois. 

Malgré la bonne volonté tant des directeurs et directrices d’école que des professeurs et des agents de pastorale, il nous fallait composer avec les contraintes de ce milieu et trouver de nouveaux modes d’accès et de présence de l’Église à l’école. Nous devions peut-être avant tout, être conquis par ce milieu, comprendre et respecter sa dynamique propre. Nous comprenions assez bien le message à révéler mais étions sans expérience ni compétence pour manier le nouveau médium qui devait le véhiculer.

S’initier au maniement des véhicules porteurs de foi

De plus, les manuels de catéchèse au secondaire n’étaient pas prêts. « Regards neufs sur un monde nouveau » était sur la chaîne de montage. « Homme et femme il les créa » était encore en gestation. Les rédacteurs de ces manuels comptaient sur notre collaboration. La catéchèse destinée aux adolescents du secondaire était centrée sur l’identité personnelle. Assumer son corps, sa sexualité, la société comme milieu de vie et lieu d’engagement. Nous avions beaucoup à apprendre quant aux perspectives propres à cette nouvelle catéchèse.

Dans la tradition qui remontait au concile de Trente, l’identité humaine avait été comme gommée par le titre de Fils de Dieu, unique code d’accès et d’interprétation de tout le curriculum de vie. Ce titre n’avait guère d’impact dans la vie de tous les jours et apportait peu d’aide à l’adolescent en croissance. Il fallait bien asseoir tout le développement de l’adolescent sur ses bases naturelles et humaines. Les récentes vagues du personnalisme chrétien jointes aux visées de la pastorale de l’incarnation le requéraient. C’est ce que firent sous la direction de l’abbé Jean-Guy Myre les principaux rédacteurs des manuels du secondaire. Ils étaient compétents dans les divers domaines connexes à l’univers des jeunes : psychologie, sociologie, ouverture aux sciences et aux techniques et langage de la Modernité. La série Regards neufs comprenait : Regards neufs sur un monde nouveau; Regards neufs sur la vie; Homme et femme il les créa (sexualité) et La force des rencontres.

Je me souviens qu’une fois, on nous avait demandé d’illustrer certains chapitres de Regards neufs par des exemples concrets tirés de la vie et du milieu des jeunes adolescents. J’avais produit deux ou trois courtes histoires. À la critique, on me fit remarquer que la petite leçon morale, «happy ending», qui terminait chacun de mes récits jurait avec l’esprit du programme. Le vieux serpent de l’arbre du bien et du mal montrait sa queue. L’atavisme moralisateur pointait ses cornes même au travers du costume à la mode de Vatican II.

Une autre fois, après la création de « Homme et femme il les créa » qui était surtout l’oeuvre d’Andrée Quiviger, j’avais été appelé à donner une conférence sur la sexualité à des paroissiens de l’Église Ste-Gertrude dans le cadre des retraites du carême. Grâce aux discussions que j’avais eues avec un de mes amis de cette paroisse, je savais que je touchais là un sujet tabou. Le manuel « Homme et femme il les créa » dédié aux élèves de secondaire IV me fournissait un excellent cadre de présentation. Tout alla très bien. Les questions quelque peu timorées manifestaient une bonne ouverture à l’esprit nouveau. Je n’avais qu’à renchérir. Après la conférence, deux femmes dans la trentaine, lesbiennes, viennent me voir. Elles me demandent si mon bel exposé sur une sexualité ouverte s’appliquait à leur cas. « Peut-on vivre notre sexualité sans avoir, suspendue au-dessus de nos têtes, l’épée de Damoclès du péché ? » Je ne sus que répondre. Quelques généralités qui ne leur furent certainement d’aucune aide. L’esprit du concile était relativement facile à comprendre et à annoncer. Mais quand il s’agissait de l’incarner, c’était autre chose.

Nos objectifs en tant que responsables de la catéchèse au secondaire étaient relativement simples. Il s’agissait de diffuser l’esprit qui animait la catéchèse au secondaire, de le bien faire comprendre et d’apporter un soutien aux professeurs qui devaient le transmettre à leurs élèves.

Mais là, il y avait une difficulté de taille. Qui étaient les professeurs chargés de l’enseignement religieux ? À plusieurs d’entre eux, jeunes professeurs sans spécialité définie, on avait plaqué en complément de tâche deux ou trois heures-semaine d’enseignement catéchétique. Quelques-uns seulement avaient suivi des cours d’été en catéchèse. L’un d’entre eux avait fait un an ou deux en sciences religieuses. Cependant, la plus grande difficulté était de réunir les catéchètes. On se butait souvent à la complexité des horaires, à des contraintes de tâches, à des directives venues des syndicats, et quoi encore. Organiser seulement un cinq à sept sur semaine ou en fin de semaine en dehors du temps de classe était un tour de force et la participation loin d’être assurée, était fort variable. On ne pouvait songer à rien de durable.

Nous fîmes, Jean-Paul et moi, par petits groupes, plusieurs rencontres de catéchètes. Nous avons rencontré ici et là des professeurs qui ont accepté de participer à la commission diocésaine de l’éducation de la foi (4) et d’être dans leur école respective un soutien pédagogique aux professeurs chargés de l’implantation de ces nouveaux programmes. C’était beaucoup plus ardu qu’au primaire, moins reluisant et aussi plus fragile. Il fallait beaucoup de foi pour ne pas désespérer de la moisson.

Une concertation interdiocésaine

La nouvelle catéchèse se répandit partout dans la province de Québec et même dans tout le Canada. Son implantation était la responsabilité de l’Office catéchétique nouvellement mis sur pied dans presque tous les diocèses du Québec et du Canada. Il s’est aussi établi des réseaux de communication et de concertation entre les différents offices catéchétiques. À Saint-Jérôme, nous avions des atomes crochus principalement avec les offices des diocèses de Mont-Laurier et d’Amos, et aussi avec celui de Joliette.

On se rencontrait à plusieurs reprises chaque année. Deux fois au moins l’Office du diocèse d’Amos nous accueillit pour une longue fin de semaine de partage et de ressourcement. Nous avons été invités à diverses reprises à participer à titre de conférenciers ou de professeurs à des sessions d’étude de la nouvelle catéchèse à Edmonton, à Moncton, aux universités de Laval à Québec et de l’UQTR à Trois-Rivières.

On a tenu aussi au séminaire de Sainte-Thérèse de longues sessions d’été destinées surtout à la formation de catéchètes à tous les niveaux.

Bref, une nouvelle vision de la foi se répandait partout. Des cellules vivantes et agissantes pluralistes et polyvalentes surgissaient en dehors ou avec la collaboration des structures d’Église établies.

Quel fut l’impact de ces huit ans d’efforts ? Heureusement qu’on n’en savait rien. Il y aurait eu de quoi décourager les apôtres les plus chevronnés. Ce merveilleux mouvement de renouvellement s’essouffla rapidement.

En 1971, l’Office catéchétique fut rattaché à la Commission diocésaine d’éducation de la foi. L’abbé Fortier prit la charge d’une cure à St-Eustache, Sœur Pauline rattachée à la commission diocésaine continua un certain temps à apporter soutien et lumière aux professeurs des écoles élémentaires du diocèse. Jean-Paul Binet fut engagé comme conseiller pédagogique à la polyvalente Deux-Montagnes-Blainville. Moi je pris une charge de cours en sciences religieuses au Collège Marie-Victorin qui opérait alors comme Scolasticat École Normale des Frères Éducateurs de la région de Montréal. L’Office avait été pour nous un temps de pionniers, celui qui crée des engagements profonds, des collaborations sans frontières et des soutiens aussi vigoureux que chaleureux. Le temps était déjà venu de passer à une autre étape.

La catéchèse elle-même en milieu scolaire subira beaucoup de modifications dans ses manuels, dans ses programmes et dans la place qui lui sera faite dans une école de plus en plus pluraliste et laïque. En mai 2005, le projet de loi no 95 signera son abolition à l’école publique. L’éducation de la foi relèvera alors de la responsabilité des évêques, des pasteurs et des parents croyants. C’est le cours d’Éthique et de culture religieuse qui dans les écoles publiques et laïques gardera la mémoire de la longue et riche tradition de l’enseignement religieux catholique au milieu des nombreuses croyances qui ont émaillé l’histoire de l’humanité. L’ouverture au monde et à la Modernité ne va pas sans l’abandon de certains privilèges.

Les frères et les sœurs se parlent

Le scandale des faibles

Une petite anecdote. Cette fin d’après-midi de juillet 1966, deux maillots de bain pendent sur la corde à linge du côté du scolasticat de la Maison provinciale de Rosemère. Rien de bien singulier, sinon que mon maillot accompagne celui de sœur Pauline. C’était comme une affiche du mini scandale qui avait fait parler certains frères de la communauté de Rosemère et qui en gênait d’autres. Les faits : c’est très simple, le conseil de la Pastorale des religieux du diocèse de Saint-Jérôme, dont je faisais partie , était composé de trois frères et de trois sœurs du diocèse et animé par l’abbé Gagnon. Le conseil avait tenu sa réunion à Rosemère. Après avoir travaillé tout l’après-midi sur différents dossiers, avant le souper, j’avais offert à celles ou à ceux qui le désiraient d’utiliser la nouvelle grande piscine érigée par le frère Elphège et qu’on avait inaugurée au début de l’été. Sœur Pauline fut la seule à répondre à mon invitation. Je l’ai accompagnée. Pour moi et pour tous les membres de l’équipe, c’était tout naturel et il n’y avait là aucune matière à surprise ni à scandale.

Au sein du conseil de la Pastorale, nous avions plusieurs rencontres à notre crédit. Nous avions même tenu, à Nominingue (Mont-Laurier), en bordure du lac, un camp (mixte) de ressourcement qui dura deux ou trois jours. Ce camp réunissait les religieux et les religieuses des conseils de pastorale des diocèses de Mont-Laurier, de Saint-Jérôme, d’Amos et même, si mes souvenirs sont exacts, d’Ottawa ou de Hull.

L’ «étonnement » manifesté à la maison provinciale de Rosemère est révélateur du bon bout de chemin fait et par les religieux-religieuses et par les diocèses dans la voie de la concertation et dans celle d’une intense collaboration à la mission apostolique. À Saint-Jérôme, nous avons participé à la Grande Mission et depuis ce temps. nous siégions régulièrement au conseil de pastorale du diocèse comme membres de plein droit.(5)
Les trois messes basses (clic)

Je me souviens que lors de l’un de ces conseils tenu sous la présidence de Mgr Frenette, nous cherchions des moyens de sensibiliser les paroissiens à l’esprit du concile, surtout en ce qui concernait la pratique de la messe dominicale. Il nous semblait que beaucoup de fidèles accomplissaient ce rite machinalement de façon routinière comme l’un de leurs devoirs de chrétiens (obligatoire) sans en connaître le véritable sens.(6) En vue d’amorcer un virage significatif je suggérai, d’abolir officiellement l’obligation de la messe dominicale pour un dimanche désigné et d’inviter les fidèles à partager leur vie de foi et les façons de la vivre en Église. Je croyais en la vertu d’un temps d’arrêt tout en réalisant qu’une telle action était, pour diverses raisons, impossible à enclencher. On m’écouta attentivement et on discuta sérieusement de la proposition.

L’Église, Mgr Frenette en tête, était ouverte à l’importance d’opérer un renouveau significatif dans la foi et la religion des chrétiens du diocèse. Mais comment défaire les enfermements qui avaient des siècles d’enracinement ? Pour instaurer des œuvres d’éternité, il faut compter avec le temps.

Au moment de rédiger les présentes notes je reçois le dernier volume de Jacques Grand’Maison qui a été l’un des principaux moteurs de renouvellement de l’Église québécoise et surtout de celle de Saint-Jérôme. Dans cet essai intitulé Société laïque et christianisme il fait une analyse rétrospective des enjeux et de la vitalité de cette époque. Une Église autre en gestation, Une parole neuve, L’incontournable défi de la laïcité sont quelques-uns des titres qui coiffent ce rappel du tournant pris par l’Église et la société québécoise pendant cette période.

Jacques Grand’Maison dégage le sens des effervescences, des tâtonnements et des nombreuses tentatives de renouvellement qui ont bouillonné dans le diocèse principalement dans les années 60 à 70. Il constate aussi avec regrets l’implantation triomphante au Québec d’une laïcité qui se coupe de ses enracinements dans le patrimoine chrétien. Peut-on empêcher notre génération de se défaire se demande-t-il avec Camus ?

Optimiste toujours, il ajoute : « Derrière ce qui se défait il y a de nouvelles pousses qui surgissent. Qui sait s’il n’y a pas un monde autre qui commence à émerger. Fût-ce une nouvelle conscience des enjeux largement partagés et des tâches communes à entreprendre. … Je tire cette espérance de la Promesse de Dieu de ne jamais abandonner l’humanité. Dès les débuts de la Bible, cette promesse s’accompagne d’une responsabilité qui nous confie les uns aux autres par-delà les frontières de tous ordres, en coude-à-coude avec tous les « humains de bonne volonté », sans aucune exclusion. C’est là une des postures du christianisme qui peut être un apport précieux pour tous. Un apport parmi d’autres, bien sûr. Société laïque et christianisme p. 176

Je garde une mémoire vive et des souvenirs rafraîchissants de ce qui m’a été donné de vivre et de connaître pendant cette courte mais importante période de vie et d’actions sous la bannière de Vatican II.

Renouvellement spirituel

Ma vie spirituelle a subi aussi pendant cette période de profondes transformations. Je dois d’abord reconnaître que je n’avais pas le temps de me payer le luxe des doutes qui avaient alourdi une bonne partie de mes années de conscience.

Je continuais à accomplir fidèlement les exercices commandés par ma communauté mais ils ne me nourrissaient guère. C’est dans l’action que ma foi puisait son renouvellement et sa vitalité.

Mes discours sur le salut et la plénitude de vie apportés au monde et à tout homme de bonne volonté affinaient mon regard de foi. Ma charité, toute livresque, prenait sa force surtout dans les défis que la vie lui offrait.

Cependant, petit à petit, l’illumination du coup de foudre qui me faisait voir Jésus présent en tout s’estompa. Je n’avais plus besoin de voir ni de me sentir en présence de Dieu, je le savais être là en tout, vibrant de son amour conquérant. Le savoir suffisait à commander l’action. Engagé dans la milice du Seigneur, je lui faisais, comme entre parenthèses, une confiance absolue. Le rationnel du salut accompli prenait le pas sur ma relation vivante avec le Ressuscité.

J’en étais ainsi, imperceptiblement, revenu au point de départ, à l’avant-concile. J’arborais il est vrai l’oriflamme d’une nouvelle théologie, j’étiquetais mes engagements de belle façon mais c’était un savoir qui commandait mes engagements, une procédure apprise, non une vie ni un amour partagé. Un mariage de raison. Un robot savant mais débranché. La foi qui est vision et conscience d’une présence était devenue comme un va-de-soi, un concept appris et récité.

Je savais Jésus présent au cœur du cosmos ou au sein de tout rassemblement humain. Je connaissais la vision de Teilhard de Chardin,(7) la lente montée de la conscience vers la noogénèse mais souvent cela s’arrêtait là. Je n’allais pas voir l’arbre sacré qui dominait la forêt, je n’étais pas à l’écoute de la montée de la conscience vers l’Oméga divin. Je ne nouais pas de vraies relations avec le Jésus qui avait faim et soif en ceux qui se présentaient à ma porte. Je répétais ces données théologiques comme une leçon, sans trop me préoccuper de son impact dans la qualité de vie des gens que je rencontrais. L’âme et l’attitude d’un fonctionnaire de la foi.

La vie religieuse d’avant le concile primait sur l’action apostolique. L’enseignement apparaissait alors, du moins dans les priorités proposées, comme le fromage d’Oka pour les Trappistes, un gagne-pain, un passe-temps entre les heures de prière. J’avais inversé les pôles, L’engagement primait et mobilisait l’action mais une action de plus en plus détachée d’une foi qui aurait pu la nourrir et la guider.

C’est peut-être ce qui est arrivé à l’Église du Québec. Elle s’est lancée à bride abattue sur les voies de l’Incarnation et de la Modernité. Elle a de fait rafraîchi ses cadres, mais elle n’a pas su s’incarner vraiment au cœur de la vie des hommes de ce temps. Le message avait pris les couleurs de la Modernité mais il est resté sans racines. en marge des hommes en chair et en os à qui il s’adressait. Sa foi suivait une trajectoire parallèle à son action mais ne savait pas la nourrir.

Est-ce un constat d’échec ? J’y vois plutôt la confirmation de la distance qu’il y a entre l’Église du « déjà » et celle du « pas encore ». C’est un défi toujours à relever sans qu’aucune formule n’y parvienne jamais.

La pastorale des vocations n’a pas réussi à susciter au sein de la Modernité des vocations qui la fasse vivre, partager et espérer. Après six ans de nouvelle catéchèse, un sondage a révélé que ces nouveaux catéchisés étaient toujours dominés par la menace du péché, la peur de Dieu et de l’enfer et par une tenace désespérance devant son avenir personnel et celui du monde.
L’Église ancienne s’est parée à la moderne mais elle n’a pas vraiment atteint le cœur des masses. Peut-être faudra-il que cette Église renaisse, qu’elle retourne dans le sein « de sa terre-mère » pour renaître à nouveau, (Jn 3,1-12) pour faire lever cette pâte de son énergie, pour éclairer ses sillons de sa lumière. La foi sans espérance se brouille de cataractes, la charité sans foi ni espérance s’étiole. Ni la foi, ni l’espérance ni la charité ne croissent dans les livres. C’est dans la pâte humaine et souvent dans la mort qu’elles fleurissent.

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(1) Cf. l'Office catéchétique 1963-1969 par l'abbé Jacques Fortier Dir.

(2) Cf. Éléments d'histoire de l'Office catéchétique du diocèse de St-Jérôme (1964 - 11972) par Jean Paul Binet,

(3) La série « Viens vers le Père » qui a remplacé le catéchisme unique pour toutes les années du cours primaire, comprend six catéchèses différentes, une pour chaque année des deux cycles: 1re Année  : -Viens vers le Père – 2e : Célébrons ses merveilles - 3e : Rassemblés dans l’amour; 4e : Nous avons vu le Seigneur; 5e : Préparer la terre nouvelle; 6e : Selon ta promesse fais-moi vivre.

Cette série a été reconnue par plusieurs diocèses comme le produit le plus achevé du renouveau catéchétique. L’OPÉCO (Office Provincial de l’Éducation de la foi Catholique de l’Ontario) fait un bon rappel historique de l’évolution de l’enseignement religieux au Canada, du catéchisme catholique à la catéchèse renouvelée sous le souffle de Vatican II .

(4) L'enseignement religieux au secondaire, dans les écoles publiques n'allait pas de soi. Cf. Le rapport de la commission diocésaine sur l'enseignement religieux au secondaire en 1968.

(5) Antérieurement, cet organisme était réservé aux seuls clercs du diocèse. Les religieux et les religieuses d’un diocèse menaient leurs propres actions apostoliques définies par leurs règles et constitutions ou télécommandées par leurs supérieurs respectifs.

(6) La routine qu'on déplorait à propos de la messe ne date pas d'hier. Il est amusant d’écouter la description de la messe du dimanche faite par un humoriste à la manière de François Pérusse. Cette caricature illustre ce que le rituel de la messe était devenu avant le concile et peut-être en beaucoup de lieux et de temps de la chrétienté.   On relira aussi avec amusement la description des trois messes basses de minuit de Alphonse Daudet
 
(7) Dans les années 50, ce jésuite paléontologue, avait dans le Phénomène humain et le Milieu divin comme baptisé la thèse de l’évolution défendue par Darwin en la pénétrant de son regard de foi. Il voyait dans chacune des étapes de cette évolution une lente montée de la conscience vers son accomplissement final en l’Oméga divin révélé par Jésus. Teilhard savait cette montée unifiée dans le Christ parce qu’il la voyait grâce à la lunette de sa foi. Moi je trouvais cette vision emballante. Elle me nourrissait. Je me la récitais mais je n’arrivais pas à la voir.
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L'équipe de réalisation de MÉMOIRES À L'ULTRAVIOLET
est heureuse à l'occasion de Noël et du Nouvel An
de présenter
d'abord à ses collaborateurs immédiats
Bernard A. - Bernard D. - Jean-Claude E. - Eddy N. -Jacques D.
Laurent N.- Marcel R. - Jean T. - Jacques F. Jean-Paul B.
Maurice N -. Monique G.- Bernard D. - Jean-Guy B. 
 Léonard L.
et à tous ses lecteurs assidus
ses MEILLEURS VOEUX
d'une joie inaltérable
d'une paix durable
et d'un bonheur aux multiples lendemains.
 
Nous vous informons aussi qu'après avoir trimé dur tout l'automne
Nous prenons la pause jusqu'en février 2011
 
Nous vous reviendrons alors avec la finale du Volume II
L'ARCHE DES JEUNES et
la fin de mes 28 ans de vie religieuse.
 
 
 
 
           Lionel                                                                     Clément


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ANNUAIRE 1964-1965
N° 59


Les décisions du ministère de l’éducation tiennent toujours les frères aux aguets, de même que les réformes qui se succèdent. Cette année, c’est le «rapport de la commission d’enquête sur l’enseignement« qui fait objet de préoccupations.

Il y a partout l’apparition de classes mixtes qui demandent ajustement.

Au plan de l’Église, c’est la réforme liturgique qui surtout retient l’attention.

Le chapitre général de 1964 a apporté des changements très concrets : l’abandon du nom religieux, le tutoiement, l’élargissement des normes du côté des visites dans la famille. Enfin, plus en profondeur, se dessine un courant de mise à jour des Règles et des constitutions.

Il y a eu fermeture de trois maisons.

Une autre province communautaire met sur pied une colonie de vacances durant la période estivale.

Statistiques des sept provinces canadiennes :
- 1521 profès
- 80 novices
- 1273 juvénistes
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Prochain feuilleton no 35: L'Arche des Jeunes - Titre et date à déterminer






samedi 4 décembre 2010

33- La culture des vocations


Zachée, descends vite ;

car il faut que je demeure aujourd'hui dans ta maison.(Luc 19, 50)
La vocation de l'humanité n'est pas la souffrance mais la joie,
elle n'est pas la culpabilité du péché,
mais la liberté de la jouissance réfléchie et partagée. [Robert Misrahi]

Les obédiences du 15 août 1963 me ramenaient Rosemère, la maison mère de la province de Montréal. On me chargeait du recrutement au niveau secondaire. Mon ami, le frère Louis-Denis, devait s’occuper du primaire. De plus, j’étais engagé par l’Office catéchétique du diocèse de Saint-Jérôme, deux jours par semaine, à l’implantation de la nouvelle catéchèse dans les écoles secondaires du diocèse.

Sous le souffle de Vatican II

Le souffle de Vatican II avait suscité de toutes nouvelles initiatives pastorales dans le diocèse de Saint-Jérôme et dans ma province communautaire de Montréal. La Grande Mission avait mobilisé tous les services diocésains et suscité des mouvements de solidarité nouvelle entre le clergé, les congrégations religieuses du diocèse et les laïcs impliqués dans divers mouvements d’action catholique.

L’Annuaire de l’Institut des Frères du Sacré-Cœur qui chaque année relate les hauts faits des provinces communautaires, mentionne pour l’année 62-63, Province de Montréal, une recrudescence d’activités et d’initiatives visant à informer et à former les frères à l’esprit du concile. Cf. Annuaire 1962-63 Province de Montréal  p. 161-162 - Extraits

La nouvelle catéchèse fut peut-être, avec la réforme liturgique, le signe le plus sensible en ces temps d’un renouvellement en profondeur de la foi et de la religion au Québec.

L’Office catéchétique provincial, nouvellement créé par Mgr Coderre évêque de Saint-Jean en 1962, entreprend la création de nouveaux manuels de catéchèse orientés vers l’initiation à la vie chrétienne (Viens vers le Père – Célébrons ses merveilles…) qui remplacent le petit catéchisme du Québec.

Les universités de Montréal, de Laval, de l’UQTR offrent pendant les vacances des cours catéchèse pour les enseignants. Les offices de catéchèse surgissent dans tous les diocèses, de même que les différentes formes de regroupements diocésains des communautés religieuses. Le diocèse de Saint-Jérôme s'est  montré particulièrement dynamique dans ce domaine.

C’est dans ce milieu mû par les énergies d’un profond renouveau que j’étais appelé à travailler.

Recruteur au primaire

Un matin du début de septembre, les classes étant reprises dans toutes les écoles, le frère Louis, procureur de la maison mère de Rosemère, m’appelle et, avec un large sourire m’offre les clés d’une Pontiac toute neuve qu’il avait achetée (2.500$) à mon intention à un garage de Ste-Thérèse.

À cette époque encore, conduire une auto et surtout en avoir une à sa disposition presque régulière était en communauté un privilège réservé au provincial, à l’économe de la maison mère et au recruteur. Ces dernières années, on avait cependant multiplié les permis de conduire chez les frères. Ainsi, pendant que j’étais professeur au noviciat, j’avais pris mon permis de conduire afin de dépanner le directeur de l’école de St-Pie-de-Bagot qui avait besoin d’un prof de géométrie. Tous les lundis, j’allais du Mont-Sacré-Cœur à St-Pie pour y donner mon cours. Par la suite je fis beaucoup d’autres courses utiles à la maison provinciale. De privilège, l’auto était passée au rang du service, un outil comme bien d’autres.

Ce matin-là, je partis donc pour St-Jérôme, j’avais rendez-vous dans l’après-midi avec l’équipe de l’Office catéchétique du diocèse.

J’avais planifié de profiter de l’avant-midi pour m’initier à mon rôle de recruteur au niveau primaire. Frère Louis-Denis, qui en était le responsable, pour je ne sais quelle raison, s’était en effet désisté. J’assumerais donc le recrutement aux deux niveaux, primaire et secondaire. Aussi bien commencer mon initiation tout de suite.

Les Sœurs du Sacré-Cœur dirigeaient l’école des garçons à St-Janvier. Le port de la cravate et de l’habit noir n’était pas encore généralisé en dehors du diocèse de Montréal, je portais la soutane, je fus accueilli à bras ouvert. Les Sœurs du Sacré-Cœur dirigeaient aussi à St-Antoine une école voisine de celle des frères. J’étais en pays connu. Les garçons de 6e et 7e années étaient regroupés dans une même classe. Je proposai de les entretenir pendant une heure environ sur la vie religieuse.

Quoi leur dire et surtout comment le leur dire ?

Le frère Recruteur selon la tradition

Selon la tradition établie comme depuis toujours, le frère recruteur rencontrait les élèves de sixième et ceux de septième deux fois dans l’année et cela aussi bien dans les écoles dirigées par les frères que dans les écoles des villages avoisinants. Entre les recruteurs des différentes communautés on s’était comme naturellement partagé les territoires de chasse. Ainsi, lorsqu’une communauté était la seule à tenir une école dans une ville ou dans un village plus important, toutes les écoles des villages avoisinants faisaient partie de son territoire. Le recruteur avait ses entrées dans ces écoles et y était généralement attendu et bien reçu. Un même partage à l’amiable était établi pour les écoles de l’île de Montréal.

Chaque recruteur avait ses trucs et ses appâts. Il lui fallait repérer les élèves les plus doués et créer avec eux des liens qui nourriraient un intérêt pour la vocation de frère et éventuellement prépareraient l’entrée au Juvénat. Certains donnaient des images à tout le monde ou à ceux qui avaient le mieux répondu aux questions posées. On parlait de la vocation, cette espèce de destin mystérieux prédéterminé à la naissance par Dieu lui-même. Il était très important de découvrir et de suivre sa vocation.
D’autres recruteurs faisaient passer de petits tests et promettaient d’envoyer les résultats par la poste à tous ceux qui le demanderaient. La visite d’avant Noël avait pour but de recueillir les noms des élèves les plus talentueux afin de pouvoir communiquer avec eux à l’occasion des fêtes ou de leur anniversaire de naissance.

La deuxième rencontre après Noël visait principalement une entrée au Juvénat pour Pâques(1) ou pour la fin du mois d’août. Les parents des élèves les plus intéressés étaient alors rencontrés. Le recruteur s’efforçait de leur préciser les conditions d’entrée au Juvénat. Surtout il ne manquait pas de dire à ce futur candidat et à sa famille qu’il les avait en haute estime, qu’il prierait pour eux. L’élève était invité à correspondre avec le recruteur.

Plusieurs recruteurs s’étaient munis d’un projecteur 8 ou 16 mm. Ils présentaient à la classe des images du Juvénat, des sports qu’on y pratiquait, de l’enseignement qu’on y donnait et aussi des pays de mission où œuvrait la communauté. Les éléphants et les lions d’Afrique faisaient de bons appâts pour la chasse aux vocations.

Chez les écoles dirigées par les frères, le scénario était sensiblement le même, excepté que le recruteur travaillait en étroite collaboration avec les frères titulaires des classes de 7e année (et, s’il y avait lieu, celles de 8e et 9e années) qui avaient à cœur la promotion de la vocation de frère.

Ce système fonctionnait très bien puisque les tableaux d’honneur relevés dans La Voix du Mont-Sacré-Cœur et mis en valeur par le supérieur provincial lors de ses visites aux maisons ou à l’occasion des retraites annuelles mentionnaient le nom et la provenance de chaque nouvelle recrue inscrite au Juvénat. Dans les années 40 et 50 le Juvénat de Granby visait et souvent dépassait cent recrues par année. Dans la province de Montréal, plus récente, on était un peu plus modeste, on célébrait l’entrée du 75e nouveau juvéniste.

En ces temps où il n’existait que très peu d’institutions d’enseignement secondaire à part les collèges classiques, la demande d’une prolongation des études au-delà du cours primaire était grande. Les recruteurs étaient bienvenus. Les juvénats regorgeaient de sujets et la province enregistrait une trentaine de nouveaux profès chaque année, le frère provincial pouvait répondre aux demandes des évêques qui désiraient implanter de nouvelles écoles tenues par les frères dans leur diocèse. La communauté prenait de l’expansion et le carrousel reprenait chaque septembre son « merry-go-round ».

Comme devant les traditions de formation au noviciat, j’étais un peu mal à l’aise devant ce système organisé selon les normes du marketing commercial ou selon les pratiques de recrutement des clubs de sport professionnel. Comment, sans fausse représentation et sans surenchère mal placée, pouvait-on présenter la vie religieuse à des jeunes de 6e et 7e années et surtout comment rendre cette vie attrayante pour eux ?

D’autre part, on ne pouvait se désister, le recrutement était vital pour la survie de la communauté.

L'Évangile, une bonne canne à pêche 
Pour être dans le vent du concile et respecter mes convictions profondes je décidai donc d’utiliser le plus possible l’Évangile comme amorce de mon discours sur la vie religieuse. L’épisode de Zachée (Lc, 19) me servit de premier test.


« Il était tout, tout petit. Il s’appelait Zachée.  Jésus était venu dans le village où il habitait. Il y avait une grande foule. Zachée voulait bien voir Jésus. Il était si petit que tout le monde lui cachait la vue. »

Qu’auriez-vous fait à sa place ? Il était rusé. Que fit-il, il voulait tellement voir Jésus ? 

« J’aurais demandé à mon père de me prendre sur ses épaules. » dit l’un, « j’aurais passé entre les jambes des grands pour me rendre au premier rang dit un autre. » Toute la classe s’esclaffe. « Je serais monté dans un arbre » dit un autre.

C’est la réponse que j’attendais. Je continuai à mimer la scène en insistant sur le regard de Jésus levé vers l’arbre où se trouvait Zachée, sur la foule attentive, sur l’invitation de Jésus qui s’adressait personnellement à lui, le tout petit, petit Zachée. Jésus, celui que les foules acclamaient, irait aujourd’hui manger dans l’humble demeure du tout petit Zachée.

Et là, ces jeunes garçons n’en finissaient plus d’énumérer ce qu’ils auraient fait pour bien accueillir Jésus. Je raccrochai le tout au mot vocation, aux frères et aux sœurs qui avaient ouvert grande leur demeure pour accueillir Jésus. Les sourires de la sœur titulaire de la classe, qui était restée écouter ma conférence, m’applaudissaient. On m’invita à revenir. J’étais content. « The beginner’s luck ».

De fait, j’ai toujours eu du plaisir à parler de vocation aux enfants du primaire, à leur commenter l’Évangile. Mais de là à les amener au Juvénat ! L’année suivante, un jeune garçon de St-Janvier fit son entrée au Juvénat de Chertsey. Je l’épinglai sur mon tableau de chasse. Je crois qu’il s’est rendu jusqu’au noviciat.

Il fallait plus que des paroles pour remplir le Juvénat. Pour concrétiser et incarner mes envolées évangéliques en vocations "sonantes et trébuchantes", j’appliquai la formule de l’action catholique, l’action sur le semblable par le semblable. Avec la collaboration des maîtres de formation (frère Jean-Pierre à Chertsey et Jean-Rémy à Rosemère) j’organisai avec les candidats chez qui j’avais discerné un certain potentiel pour la vie religieuse, des séjours d’une fin de semaine au Juvénat. C’était concret. Ce fut une formule gagnante. Dans l’annuaire de l’année suivante, on mentionna que quarante recrues sur soixante-quinze avaient fait un séjour de fin de semaine au Juvénat.
L’année suivante, on me donna un adjoint en la personne du frère Jean-Lionel, alias Gilles Vincelette, qui avait dans les arts beaucoup de cordes à son arc. Il fut aussi rattaché à la Pastorale des Vocations du diocèse de Joliette. Puis ce fut le frère Anatole, mon premier directeur à St-Victor, qui vint se mettre humblement sous mes ordres. Il aimait bien conduire l’auto, je lui donnai à parcourir les paroisses les plus éloignées de la province. Finalement nous formions une bonne équipe. Frère Jean-Lionel dans l’est et dans les écoles primaires de Montréal, frère Anatole dans le Nord. Le frère Charles, de la province d’Arthabaska et ancien missionnaire à Madagascar assurait la correspondance et frère Albertius se chargeait d’imprimer toute la publicité vocationnelle.

Recruteur au niveau secondaire.

Les quelques recrues qui provenaient du secondaire étaient des mets de choix pour le recruteur et pour le juvénat. Les écoles secondaires se multipliaient. Plusieurs d’entre elles offraient aussi le cours classique. Il y avait de plus en plus de frères qui enseignaient au secondaire. Un jeune pouvait dorénavant prolonger gratuitement ses études au secondaire sans passer par le juvénat ou par le séminaire. La formule du juvénat fermé à tout retour dans la famille était de plus en plus critiquée.

L’avenir de la communauté résidait, pensait-on, dans des vocations mûries par le temps et choisies en meilleure connaissance de cause. Certains frères qui enseignaient au secondaire jouissaient d’un ascendant réel sur les jeunes de 9e, 10e et 11e années. Ils savaient les impliquer dans des œuvres ecclésiales importantes et réussissaient même à inscrire au Juvénat un ou deux de ces candidats « de choix ».

Bref, il était consolant et sécurisant de penser qu’on pouvait tirer beaucoup de recrues valables de cette mer nouvelle et qu’il suffisait de tendre les filets pour y faire des pêches miraculeuses.

Ma mission c’était de tendre le filet du Seigneur dans ces eaux nouvelles. Comment s’y prendre ?

Après avoir multiplié mes allées et venues à travers toute la province, après Pâques 1964, vers neuf heures du matin, je sonne à l’école secondaire Pie IX, située à Montréal-Nord. C’était une école dirigée par des professeurs laïcs de la CECM. Je demande à voir M. Tremblay directeur de l’école. Après dix ou quinze minutes on m’introduit dans son bureau. Timidement, je lui présente ma requête:

« Je suis un frère du Sacré-Cœur chargé par ma communauté de L’ŒUVRE DES VOCATIONS (à ce moment on ne portait plus la soutane en dehors de nos écoles, sur l’Ile de Montréal. « Je voudrais m’adresser aux élèves de 8e, 9e, 10e et 11e années pour leur parler de la vocation religieuse. »

Un temps de silence qui indique un malaise. Je devine ses pensées. « Il vient demander aux garçons s’ils veulent ‘faire des frères’. Bonne chance! » 
Il se ressaisit. Poli, il s’informe de ma communauté, « Ah oui... les Frères du Sacré-Cœur à Jonquière il y en avait… » Je lui précise que les Frères du Sacré-Cœur avaient jusqu’à tout récemment une école dans Montréal-Nord, qu’il pourrait connaître le frère Albertius dir., ou le frère Sylvestre. Il prend une bonne respiration puis enchaîne : « Je suis bien sympathique à votre cause ». Voulez-vous rencontrer toutes les classes ? Euh ! Oui… Il y en a trente ! Il faudrait d’abord vous adresser à M. Douville, mon adjoint, qui s’occupe des 8e et des 9e années.

M. Douville est direct. Il faudra en parler à l’aumônier. Je sens qu’on se renvoie une patate chaude. M. Payer, n’est aumônier dans l’école que depuis six mois. Il me réfère à M. X. professeur d’enseignement religieux dans les 8e années. Ce professeur enseigne aussi la géographie. L’enseignement religieux n’est pour lui qu’un complément de tâche. Il accepte volontiers de me laisser « ses périodes » d’enseignement religieux. Cependant, il faudrait en parler aux titulaires de chaque classe.

Je retourne voir M. Douville pour qu’il me donne la grille de cours et le nom des titulaires de chaque classe. Une grille répartie sur huit jours de sorte qu’on ne peut se bâtir un programme qui s’accorde aux jours de la semaine. Il faut calculer. Je me rends à la salle des profs pour y rencontrer les professeurs en cause. Je suis l’Étranger. J’en attrape un ou deux. Je débite mon projet. Il y a toujours un petit sourire presque malicieux qui annonce que ma naïveté a été captée. Je parviens finalement à m’établir un horaire qui m’occupera avec des temps morts pendant près de deux semaines. Certains profs m’offrent de rester dans la classe ou m’informent qu’ils le feront. Ce qui refroidit un peu ma spontanéité.

Le cours classique, le cours scientifique et le cours commercial, les forts, les faibles… Des professeurs spécialisés en français, en mathématiques, en anglais ou en latin ou en enseignement religieux circulent devant ces classes selon un horaire complexe.

Dans la classe, on m’écoute attentivement pendant environ dix minutes tout en jetant un coup d’œil à l’arrière de la classe, question de repérer le surveillant ou de rallier des complicités.

Comment aborder ces jeunes ? Voilà un autre aspect pas aussi simple qu’il en a l’air. J’ai tout essayé, tout l’Évangile, de Zachée à la pêche miraculeuse, toute la Bible, d’Abraham en passant par Joseph en Égypte, Moïse qui lutte contre le veau d’or jusqu’à Job sur son tas de fumier.

En ce temps, la vogue était aux chansonniers. J’ai aussi accroché Vigneault, Léveillé, Ferré, Brel ou Bécaud comme impresarios de mon message. Mais alors il fallait se munir d’un magnétophone, prévoir les rallonges, obtenir le silence et mousser les commentaires jusqu’à ce que l’horloge ou la cloche indique la fin du cours. J’ai même présenté les Beatles à des élèves de neuvième année de l’école François-Perrault avec cette fois un gramophone qui sonnait la tôle. Je vous laisse deviner les résultats.

Semer dans ces conditions fait douter de la récolte, même si on a ‘une foi à transporter les montagnes’. Il fallait trouver autre chose. Inventer pour ces temps nouveaux un autre mode d’emploi, une autre technique de pêche, un autre véhicule à la Bonne Nouvelle que celui de la voix de l’autorité qui impose le silence.

Les camps de fin de semaine

Depuis le début des années 60, une formule toute nouvelle gonflait d’espoirs les chargés de pastorale ou d’activités spéciales dans les écoles. C’était la formule des camps de fin de semaine. Une panacée, sœurette des colonies de vacances qui se multipliaient partout. En l’espace de deux ou trois ans, tout le Québec se couvrit en effet de colonies de vacances pour les jeunes. La plupart d’entre elles étaient créées et dirigées par des communautés religieuses de frères ou de sœurs ou patronnées par des clubs sociaux comme le Richelieu, le Kiwanis, ou le club Optimiste.

Les camps de fin de semaine se développèrent surtout dans les écoles secondaires dirigées par les frères ou les sœurs.


De connivence avec les frères Antoni et Guy-Maurice, qui enseignaient au niveau secondaire à l’école Meilleur, avec aussi mon frère de sang,  frère Denis (Clément) qui avait organisé un camp à Chertsey pour les Croisés de Saint-François-Solano où il enseignait, nous avons réuni une vingtaine de jeunes de 8e et 9e années provenant de différentes écoles de Montréal pour un camp « vocationnel » à Chertsey.

L’élargissement des concepts depuis les premiers souffles du concile voulait qu’on donne le plus d’extension possible au terme vocation et conséquemment au programme de ce camp de quatre jours. Nous parlions de vocation à la vie chrétienne, de toutes les vocations, même de la vocation au mariage.  Il fallait mettre des gants blancs. Nous parlions peu de vie religieuse.  Sans compter que le concile avait ouvert la mission apostolique à tout chrétien donc à toute vocation. Pour être conséquents avec cette orientation de base nous avions aussi invité un couple, Ginette et Guy, à se joindre à l’équipe des cinq frères animateurs de ce camp. Ce couple nous avait été suggéré par frère Guy-Marie qui, depuis quelques années déjà, organisait des camps mixtes (scandale et étonnement) avec les élèves du Collège Roussin et leurs amies impliqués dans une équipe de pastorale, peut-être de JEC.

Le camp a si bien fonctionné, que nous en avons organisé un deuxième à Pâques et un troisième à la fin de l’année scolaire. D’autres laïcs s’étaient aussi ajoutés au groupe d’animateurs ou y venaient pour une activité plus précise.

Le programme comportait beaucoup d’activités plein-air auxquelles tout le monde participait. On était allé se couper un sapin de Noël dans la montagne, on faisait des randonnées sur les routes de campagne en chantant des chansons à répondre et un vendredi-saint nous avions péniblement monté sur la montagne deux importants troncs d’arbre qui devaient former le pied et les bras de la croix dressée sur la neige blanche. Etc. Un répertoire d’activités de solidarité que nous puisions dans les souvenirs de nos années de formation. Parmi ces activités, il y avait la vaisselle, bien sûr, et quelques tâches simples que l’on se partageait. Il y avait aussi du sport d’équipe, le ballon-volant ayant une cote privilégiée. Puis chaque jour, autant que possible le soir, une célébration eucharistique allongée, dépouillée de tous ses apparats, permettait des échanges sur l’Évangile et venait enchâsser le thème du camp. On était dans le vent de l’heure.

C’était le temps où le Père Lévesque à Québec était en grande vogue. Le rayonnement de son école avait aussi popularisé la « dynamique de groupe ». Le temps de la réflexion en silence propre aux retraites fermées était mis au rancart. Les animateurs participaient aussi à ces jeux de vérité. Nous avons à plusieurs reprises, avec ou sans les jeunes, passé la nuit à échanger les perceptions que chacun avait des autres.

Ces activités autant chez les jeunes que chez les animateurs moussaient la confiance en soi et invitaient à l’engagement.

Selon la technique éprouvée déjà par l’action catholique, à la fin du camp on appliquait le « voir, juger, agir » dans un exercice dynamique d’évaluation du camp et des suites à y donner.

La communauté assumait une bonne partie des dépenses du camp. Les campeurs devaient payer 6_$ pour trois ou quatre jours, logés et nourris. Les animateurs, même laïcs, étaient bénévoles et les parents aidaient au transport des jeunes.

Après deux ou trois camps de ce calibre, avec un groupe plus fidèle de ces campeurs, on forma une espèce de club que nous avons appelé « Les Compagnons de la Vie ». C’était un club de partage, une espèce de communauté de base sans cadres bien précis, soucieux d’approfondir la foi chrétienne selon l’esprit de Vatican II et d’en vivre intensément pendant deux ou trois jours.

Les frères dans l’enseignement participaient aux activités de ce club et aidaient à son recrutement comme un prolongement de la formation chrétienne qu’ils assuraient à l’école. Ce club était soutenu par l’Œuvre des vocations comme une expérience nouvelle de recrutement. Toute invitation formelle à entrer dans la vie religieuse était suspecte. On s’en gardait. Je ne crois pas qu’aucun jeune de ce groupe n’ait fait son entrée au juvénat. On ne l’avait pas recherché directement et on ne s’en est pas formalisé. L’esprit était à la semence de la Bonne Nouvelle à tout vent.

Le club « Les Compagnons de la Vie » s’est maintenu un peu plus de deux ans. Le changement d’affectation des animateurs a été la principale cause de l’arrêt des activités de ce club et de son extinction.

Ces pratiques ont été pour moi et probablement pour tous les animateurs une initiation à une nouvelle forme d’engagement pastoral dans un esprit de gratuité et d’ouverture à toutes les formes de la vie, à toute vie. Et j’y ai pris une confirmation qui germait en moi depuis un certain temps et qui deviendra plus tard une espèce de conviction irréductible: la vie est plus forte que tous les enfermements qui prétendent la contrôler, elle perce les scléroses les plus calcifiées, elle jaillit, renouvelée, au travers des opacités les plus coriaces. L’atteinte des résultats escomptés de nos actions importe moins que la part des énergies de vie que nous avons prise en s’y engageant.

La vie renouvelée trouvera et suscitera comme par instinct les formes d’engagement (de vocation) les plus appropriées à la faire rayonner et triompher. N’est-ce pas l’unicum necessariun ?

À l’école Pie IX, quelques camps similaires de fin de semaine ont donné naissance à un groupe de jeunes adolescents qui se sont rencontrés à une fréquence variable pendant près de deux ans. On échangeait, on écoutait Gilles Vigneault, Claude Léveillé, Jacques Brel, parfois Léo Ferré … La vie, le moi, la liberté et à l’occasion la foi en Dieu étaient au centre de ces échanges. Ce groupe fut le noyau initial qui, deux ans plus tard, lorsque l’autorisation nous aura été accordée, fondera un centre « vocationnel » pour jeunes à Montréal-Nord. Nous en reparlerons.

La Pastorale des Vocations

Parmi les innovations de ce temps, il faut mentionner l’Association des Frères Éducateurs de la Pastorale des Vocations fondée vers 1962 par le frère Léandre Dugal, csv. Cette association regroupait les frères recruteurs de toutes les communautés implantées au Québec, environ une cinquantaine de frères. L’association tenait deux rencontres par année, généralement à la maison mère de l’une des communautés qui y participaient. Ces rencontres étaient un lieu d’échanges où chacun pouvait partager ses publications ou faire part d’une expérience particulière dans l’exercice de ses fonctions. Il y avait toujours à cette occasion « un plat de résistance » un conférencier invité qui nous informait des derniers développements d’ordre pastoral qui émanaient du concile. L’association intervenait aussi auprès des autorités scolaires et religieuses de façon à faciliter et à étendre le plus possible l’action des frères éducateurs dans le domaine vocationnel.

Pour la journée des vocations, le deuxième ou troisième dimanche de mai, je crois, l’Association avait obtenu que des frères montent en chaire. Imaginez, après les lectures saintes et le sermon du curé, en prédicateur improvisé nous devions prolonger la messe de dix minutes au moins pour parler de vocations à ces pratiquants de calibre variable. Ça trépignait dans les bancs. Ce dix minutes qui m’a paru s’étirer une heure de temps était de trop. Il indisposait tout le monde. On voulait tellement ! Trop ! Les vocations ne germent pas dans le vinaigre !

L'Association originelle des frères recruteurs est maintenant fusionnée à celle des Pères. Le frère Dugal en assura la présidence pendant plus de dix ans. Il fut aussi l’un des premiers à créer un centre vocationnel pour les jeunes adolescents. Plusieurs autres communautés l’imitèrent.

Cette association a beaucoup contribué à rapprocher les communautés qui, dans le domaine vocationnel pratiquaient jusqu'alors une politique de compétition et de « chasse gardée ». Elle fut aussi un excellent banc d’apprentissage et d’ouverture aux nouvelles perspectives théologiques issues du concile.

Ces « Agents de la Pastorale des vocations » comme on les désignera dorénavant, furent un levain dans la pâte qui permit au Québec tant dans le domaine éducationnel que vocationnel de relever les défis des temps nouveaux qui se pointaient alors à nos horizons.

Bilan

Mon obédience à  la Pastorale des vocations en milieu secondaire aura été la mission la plus difficile de toute ma vie religieuse. Temps de fébriles activités, de défis énormes à relever dans un monde tout en mouvance.  Temps d’incertitudes, celles de toute gestation. Aucune balise n’indiquait les sentiers à tracer, aucune expertise ne venait appuyer les décisions à prendre. Temps d’essais et d’erreurs.  Temps aussi de grandes naïvetés et d’attentes qui dépassaient de beaucoup mes compétences et le possible de ce monde en mutation. Qu’aurions-nous pu faire de mieux ? Cadrer davantage ?  Multiplier les activités rituelles et sacramentelles ?  Mieux cibler les programmes et les discours vers l’engagement dans la vie religieuse ?  …

La moisson rêvée ne fut pas au rendez-vous. Il serait curieux de mesurer le taux de persévérance des sujets qui sont entrés en communauté dans les années 60 à 70. En 1970 on avait à toute fin pratique aboli le poste de recruteur. À compter de 1975, les entrées annuelles au noviciat ne dépasseront guère cinq candidats par province. Après quarante ans de distanciation je crois que cette réaction commune à toutes les communautés (raréfier les entrées et ouvrir les vannes des sorties) fut instinctive et saine.

Instinctive, on a qu’à regarder les résultats à peu près identiques partout pour constater  qu’il ne s’agit pas d’un épiphénomène dont les variations dépendent du doigté d’un supérieur, du charisme d’un recruteur ou de la justesse de la formule ni même du degré de ferveur des membres d’une communauté par rapport à une autre. Quand le tsunami est passé on ne se demande pas ce qui l’a provoqué ni comment on aurait pu l’arrêter. C’est un phénomène naturel que rien n’aurait pu enrayer. Ainsi en est-il de la débâcle et de la disette qui ont  affecté nos communautés au dernier versant des années 60. Les instincts de survie ont fait ce qu’il fallait faire.

Cette réaction fut saine, car si l’on croit que l’Église devait changer de cap et s’ouvrir à la modernité, cette opération exigeait, pour sauver la mission, comme le souligne crûment l’Évangile, (Mt 5,29-30) qu’on arrache l’œil et que l’on coupe le bras qui scandalisent. Peut-on imaginer ce que la Révolution tranquille aurait été avec le maintien du pouvoir et de la domination des communautés religieuses dans les domaines de la santé et de l’éducation ? 

Les temps étaient mûrs pour d’autres formes d’engagement. Le maintien artificiel des effectifs de ces communautés n’aurait fait que retarder l’avènement de missionnaires mieux préparés à répondre aux besoins de ces temps nouveaux. Le blé  mis en terre doit mourir pour produire. 

Je lisais dernièrement dans Le Lien,  publié chaque semaine pour les Frères du Sacré-Cœur,  qu’une icône des vocations circulait dans les maisons comme autrefois  le Saint-Sacrement des Quarante-Heures  assurait par relais l’adoration perpétuelle dans le diocèse. Cette icône était devenue objet de dévotion. Son passage était l’occasion de prier le Maître de la vigne d’envoyer de nouveaux ouvriers travailler à la moisson. L’espérance de survie, trompée par les chiffres et les nouvelles pousses, tirait dorénavant sa fraîcheur et sa vitalité des réservoirs divins. L’Oeuvre des vocations est devenue un temps d’attente d'espérance et de prières.
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(1) L'entrée au Juvénat à Pâques avait pour  but de cueillir les jeunes vocations avant que passent les recruteurs des séminaires qui eux faisaient leur ronde pendant les vacances de l'été. (Astuce de vieux moine)

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ANNUAIRE 1963-1964
N° 58

Au niveau de l’institut en général, trois événements ont marqué l’année 1963-1964 : a) le chapitre général; ce fut alors le chapitre général le plus long de l’histoire de l’institut; le questionnement suscité par le Concile y est bien reflété; mais tout n’était pas mûr pour donner le coup de barre. Ce sera le lot du prochain chapitre général, dans quatre ans; b) l’élection du frère Jules Ledoux comme supérieur général; c) le transfert des grands novices à Albano et celui des étudiants de Jesus Magister à la maison générale.

Dans les provinces canadiennes, il y eut sept fermetures de maisons.

Les frères du Congo belge se sont retirés de leur mission à la suite de l’éclatement de troubles.

Il y a eu l’ouverture d’une nouvelle mission dans la lointaine Australie.

Ce qui domina au plan scolaire au Québec, ce fut la création du ministère de l’éducation et l’«l’opération55», c’est-à-dire la régionalisation des écoles. Les chroniqueurs commentent les répercussions de ces changements sur l’enseignement traditionnel des frères.

Statistiques des sept provinces canadiennes :

- 1517 profès
- 82 novices
- 1331 juvénistes

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